Je me plains souvent que les éditeurs de manga ne puisent pas assez (ou même du tout) dans la mine d’or que représentent les manga publiés dans les années ’70-’80. Juste en jetant un coup d’oeil dans la collection de manga en Japonais de mon épouse je trouve facilement une dizaine d’excellent manga shōjo ou josei qui n’ont jamais été traduit en français ou en anglais. La plupart de ces titres ont été créé par des membres du fameux “Groupe de l’an 24” (des mangaka nées en Showa 24 [1949], ou à la même époque, incluant par exemple Moto Hagio, Keiko Takemiya, Toshie Kihara, Minori Kimura, Yumiko Ōshima, Nanae Sasaya, Ryōko Yamagishi et même Riyoko Ikeda).
Dans l’après-guerre, les gens n’avaient pas vraiment le goût de lire des histoires introspectives sur le Japon alors on a produit beaucoup de manga historiques qui se situaient principalement en Europe. Cette génération d’artistes a grandement contribué à développer le style riche et élégant du manga shōjo. Bien sûr, le graphisme du manga a beaucoup évolué depuis, mais ces titres demeurent très beaux sans compter qu’ils offrent des histoires intelligentes et captivantes. Je ne vois donc pas pourquoi on ne les traduirait pas afin de les rendre accessible aux lecteurs d’aujourd’hui. En voici quelques exemples:
Continuez après le saut de page >>
Les enfants terribles de Moto Hagio (恐るべき子どもたち / Osorubeki Kodomo Tachi, Seventeen Comics (Shueisha), 1 vol., 1980) est une adaptation du roman de Jean Cocteau. Blessé lors d’un échange de balles de neige, Paul doit garder le lit pour une période prolongée. Avec sa soeur, il s’isole dans leur imaginaire enfantin.
L’Impératrice Catherine de Riyoko Ikeda (女帝エカテリーナ / Jotei Ecatherina, Chuokoron-sha, 5 vols., 1982) est l’adaptation du roman biographique d’Henri Troyat, Catherine La Grande. C’est une fresque historique d’une grande fidèlité qui transpose en manga la vie, les amours et les intrigues diplomatiques de Catherine la Grande.
La fenêtre d’Orphée de Riyoko Ikeda (オルフェウスの窓 / Orpheus no Mado, Margaret comics (Shueisha), 18 vol., 1975-1981) est situé en Allemagne sur un fonds de révolution russe. A l’Institut Musical Catholique Saint Sébastien, la légende veut que si l’on aperçoit une belle jeune fille à la fenêtre d’une des tours, on en tombera amoureux, mais d’un amour tragique comme dans le mythe d’Orphée.
Eroïca: La gloire de Napoléon de Riyoko Ikeda (栄光のナポレオン – エロイカ / Eikou no Napoleon – Eroica, Chuokoron-sha, 14 vols., 1986-95) est en quelques sorte la suite de La Rose de Versailles (l’un des deux seuls titres d’Ikeda, avec Très cher frère…, a avoir été traduit en français). Ce manga raconte l’histoire de l’empire Napoléonien à travers des événements comme la Convention thermidorienne, les campagnes d’Italie, d’Égypte et de Russie et le Coup d’État du 18 brumaire.
Le masque de verre de Suzue Miuchi (ガラスの仮面 / Glass no kamen, Hana to Yume (Hakusensha), 50+ vols, depuis 1976) raconte l’histoire de Maya Kitajima, une adolescente qui démontre beaucoup de talent pour le théatre. Le manga suit l’évolution de sa carrière alors qu’elle est découverte par la diva recluse Chigusa Tsukikage. Elle aspire à jouer le rôle de la «Nymphe écarlate» mais doit d’abord vaincre sa rivale, Himekawa Ayumi, héritière d’une famille d’acteurs célèbres.
Le dit du Genji par Miyako Maki (源氏物語 / Genji Monogatari, Shogakukan, 8 vols., 1988-90) est l’adaptation du classique japonais par Murasaki Shikibu, Genji monogatari. Celui-ci a d’ailleurs connu au moins deux autres adaptations en manga: celle de Waki Yamato (あさきゆめみし – 源氏物語 / Asaki yume mishi: Genji monogatari / lit. “Faisant de rêves vains – Le Dit du Genji”, Kodansha, 13 vols., 1980-1993, traduit en anglais dans la collection Kodansha Bilingual Comics) et celle beaucoup plus osée de Tatsuya Egawa (Shueisha, 7 vols., 2001-2005).
Autant en emporte le vent par Mutsumi Tsukumo (風と共に去りぬ / Kaze Tomo ni Sarinu, Seventeen comics (Shueisha), 7 vols., 1978) est l’adaptation du célèbre roman de Margaret Mitchell, Gone with the wind.
Tea Time par Yukari Ichijo (ティ タイム, Ribon Mascot comics (Shueisha), 1 vol., 1977).
Le prince noir de Levante de Kumi Morikawa (レヴァンテの黒太子 / Levante no Kurotaishi, Hana to Yume (Hakusensha), 1 vol., 1980).
Just the way you are de Michiyo Kashi (素顔のままで / Sugao no mama de, Margaret comics (Shueisha), 1 vol., 1983).
Ces titres ne représentent que la pointe de l’iceberg. Il y a d’innombrable manga du même acabit (ne serait-ce que l’ensemble des oeuvres de Moto Hagio ou Riyoko Ikeda) qui n’attendent que d’être traduit. Espérons qu’il y aura des éditeurs qui en auront le courage.
Mise à jour: Quelques rares titres ont été traduit en français et/ou en anglais notamment:
Le clan des Poe, vol. 1-5, de Moto Hagio (ポーの一族 / Pō no ichizoku). Shōgakukan, 1974-1976. Disponible en français chez Akata (Coll. Héritage, janvier 2023). Il s’agit d’une romance gothique au sein d’un groupe de vampires.
Le coeur de Thomas, de Moto Hagio (トーマの心臓 / Tōma no shinzō). Shogakukan, 1975. Disponible en français chez Kazé (2012). Il s’agit d’un drame psychologique sur un trio amoureux de jeunes garçon. La ressemblance d’Éric avec Thomas, qui s’est suicidé un peu plus tôt, trouble profondément Juli, exacerbant sa culpabilité alors qu’il est déjà traumatisé et tourmenté par des abus physiques antérieurs. Voir mon commentaire.
Je pourrais également ajouter d’autres titres comme…
L’accordéon vénitien de Kumi Morikawa (ヴェネチア風琴 / Vūenechia Fūkin / litt. “Harpe à vent vénitienne”). Hakusensha (Coll. Hana to Yume [litt. “Fleurs et rêves”] Comics), 1978. Il s’agit du deuxième volet de l’histoire du “Carnaval”. Une des premières oeuvres de Morikawa qui offre un récit poétique sur la ville de Venise et son « ombre » carnavalesque. Dans une Venise où la prospérité est maintenant chose du passé, c’est la rencontre de deux coeurs meurtries: Gentile, le fils unique d’une famille dont l’entreprise est en déclin, et Marco, un clown qui mène une vie douloureuse dans le théâtre en plein air qui accompagne les festivals. Un requiem empreint d’un chagrin sans fin…
Gouverné par un dieu cruel, de Moto Hagio (残酷な神が支配する / Zankoku na kami ga shihai suru). Shōgakukan (Petit Flower), 1992-2001. 17 vols. Le récit de la reconstruction psychologique de Jeremy, un jeune garçon qui a subit des sévices sexuels et corporels aux mains de son beau-père, ce qui le poussa au meurtre de ce dernier.
[ Translate ]
Pingback: Bibliography | Clodjee's Safe-House
Pingback: Haikara-San: Here Comes Miss Modern | Clodjee's Safe-House
Pingback: Le coeur de Thomas (Moto Hagio) | Clodjee's Safe-House