Genres et littératures (2)

Littératures de l’imaginaire

J’ai précédemment parlé des genres littéraires rationnels (les genres ordinaires, voir banal — mundane comme ils disent en anglais) qui sont ancrés dans la réalité. Il me reste donc à vous entretenir des genres littéraires de l’imaginaire. Un collègue les avait sommairement définit comme “des histoires qui ne se peuvent pas”, qui se déroulent dans un monde entièrement ou partiellement créé par l’auteur. Ils se divisent en trois grandes catégories qui se définissent grossièrement comme suit:

  1. le fantastique, où l’on imagine ce qui est, mais autrement, ce qui existe en dehors des normes, de façon irrationnel, caché, ailleurs ou au-delà de notre réalité quotidienne (par exemple: le surnaturel)
  2. la fantasy, où l’on imagine ce qui aurait pu être dans le passé ou dans un autre monde (par exemple : la magie)
  3. la science-fiction, où l’on imagine ce qui sera dans un avenir immédiat ou lointain (par exemple : un empire galactique)

Les genres tendent à être définit par leurs styles littéraires et les thèmes qu’ils utilisent. Je ne m’attarderai pas vraiment sur le style mais plutôt sur les thèmes et les sujets qui caractérisent un genre. De ce point de vue, les trois grands genres de l’imaginaire sont assez aisé à définir. Ce qui est plus difficile à définir ce sont les nombreux sous-genres pour chacune de ces catégories. Non seulement les érudits ne semblent pas s’entendre sur leur nomenclature mais la frontière est parfois floue entre les différents sous-genres (leurs multiples variantes ont parfois des tonalités assez similaires). Alors, comme je l’ai fait pour les genres rationnels, je vais vous présenter ici les principaux genres des littératures de l’imaginaire, les définir du mieux que je peux, en expliquer les sous-genres majeures (ou les regrouper selon leurs similarités) et donner quelques exemples d’auteurs ou de titres.

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Fantastique

C’est dans le DALIAF [ page xi ] que l’on trouve la définition la plus précise pour les littératures de l’imaginaire. Claude Janelle y reprends les définitions “développées [par] Jean Pettigrew au fil du temps et qui ont servi de guide au projet de L’ASFFQ.”…

Le fantastique y est défini comme une “fiction cohérente, située dans notre monde, qui intègre un ou des éléments dont l’intrusion provoque, tant chez le lecteur que chez le protagoniste, une rupture de la normalité, et qui ne propose aucune explication rationnelle de cet élément ou de son intrusion.”

Plus clairement, on définit généralement le fantastique par l’intrusion d’éléments surnaturel ou inexplicables dans la réalité du protagoniste. Le récit va aussi souvent créer une atmosphère sombre et angoissante qui peut parfois aller jusqu’à plonger le lecteur dans la peur, voir même l’horreur.

Todorov quant à lui affirme que le genre se caractérise par “l’hésitation qu’il produit entre le surnaturel et le naturel, le possible ou l’impossible et parfois entre le logique et l’illogique.”  Donc un événement extraordinaire se produit dans la réalité des protagonistes pour lequel il pourrait y avoir une explication tant rationnelle (scientifique) que surnaturel et aucune des deux possibilités ne peut être admise conclusivement ni par les protagonistes, ni par le lecteur. Sans cette “hésitation” le fantastique ne saurait exister.

On a dit aussi que c’est un genre littéraire qui est parfois utiliser pour pousser les limites des conventions sociales et morales et explorer de nouvelles idées, mais, en fait, je crois que c’est le cas de toutes les littératures de l’imaginaires et pas seulement du fantastique.

On retrouve trois grands sous-genres du fantastique.

  • D’abord, il y a le roman gothique qui en est un peu le précurseur, surtout dans la littérature anglaise. Il est caractérisé par le macabre et prends place dans des lieux sombres et isolés (paysage nocturne, château en ruine, cimetière abandonné, etc.) parfois exotiques. Il met en scène démons, vampires, religieux mal intentionné, ou créatures étranges. On peut lui attribuer des auteurs comme Horace Walpole (Le Château d’Otrante, 1764), Charlotte Turner Smith (Emmeline, 1788), Ann Radcliffe (The Mysteries of Udolpho, 1794), Matthew Gregory Lewis (The Monk, 1796), Mary Shelley (Frankenstein, 1818), John Polidori (The Vampyre, 1819), Edgar Allan Poe (The Fall of the House of Usher, 1839), Robert Louis Stevenson (L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, 1886), Oscar Wilde (Le Portrait de Dorian Grey, 1890), ou encore Bram Stoker (Dracula, 1897).
  • Et puis il y a ce que l’on pourrait appeler le fantastique classique avec des auteurs comme Honoré de Balzac (Le centenaire), Emily Brontë (Wuthering Heights), Alexandre Dumas (Le château d’Eppstein), Daphné Du Maurier (Les oiseaux et autres nouvelles), Théophile Gautier (Contes Fantastiques), Franz Kafka (La métamorphose), Gaston Leroux (La poupée sanglante), Guy de Maupassant (Contes fantastiques), Edgar Allan Poe (Histoires extraordinaires), ou Jean Ray (Malpertuis).
  • Finalement, il y a l’horreur (avec des éléments d’occultes et qui est parfois considéré comme un genre en soit). Ce sous-genre met en scène des phénomènes et des créatures surnaturels (fantômes, loup-garous, vampires, etc.) — mais aussi des crimes crapuleux — dans le but de plonger le lecteur dans l’angoisse, la peur, voir l’effroi. Il est représenté par des auteurs comme Clive Barker (Book of Blood, Hellraiser, The Scarlet Gospels et autres histoires de splatterpunk), William Peter Blatty (L’Exorciste), Robert Bloch (Psycho), Arthur Conan Doyle (Histoires et messages de l’au-delà), Laurell K. Hamilton (série Anita Blake), Stephen King (Salem, The Shinning), Ira Levin (Rosemary’s baby), Howard Phillips Lovecraft (The Call of Cthulhu, The Dunwich Horror, At the Mountains of Madness, The Thing on the Doorstep), Richard Matheson (Hell House), Anne Rice (Interview with the vampire), sans oublier le québécois Patrick Senécal (5150 rue des Ormes, Hell.com, L’autre reflet).

Le genre fantastique a beaucoup perdu de sa popularité au vingtième siècle mais a tout de même réussi à se renouveler complètement grâce à l’horreur qui a connu un regain de popularité dès les années ’70. Par contre, le Québec a une longue tradition de littérature fantastique amorcée avec son folklore (dans le cas de la chasse galerie par exemple) qui s’est perpétué au delà de la deuxième moitié du vingtième siècle grâce à la revue Requiem (qui deviendra plus tard Solaris et prendra une tendance plus axée sur la science-fiction) et à des auteurs comme Natasha Beaulieu (série Les cités intérieures), Claude Bolduc, Joël Champetier (La Mémoire du lac, La Peau blanche, L’Aile du papillon), Éric Gauthier (Une fêlure au flanc du monde), Ariane Gélinas, Fred Pellerin, Jonathan Reynolds, Esther Rochon (La splendeur des monstres), Patrick Senécal (Aliss, Oniria, Sur le seuil, série Malphas), et, bien sûr, Daniel Sernine (Les Contes de l’ombre, Légendes du vieux manoir, Quand vient la nuit, Petits Démons, cycle de Neubourg et Granverger).

 

Fantasy

Le DALIAF définit la fantasy comme une “fiction cohérente, située dans notre monde ou dans un monde sans relation avec le nôtre, qui intègre un ou des éléments qui, pour le lecteur, sont irrationnels, mais dont la présence ne provoque aucune rupture de la normalité chez le protagoniste puisqu’ils sont rationnels dans son univers propre.” Donc, dans le cas de la fantasy, les phénomènes surnaturels comme la magie ou les dragons sont normaux et acceptés par les protagonistes.

C’est le genre dont les nombreux sous-genres sont le plus difficile à définir. Mais, avant toute chose, il nous faut d’abord aborder la question de sa nomenclature. Doit-on parler de fantasy, de merveilleux ou de féérique? Dans les milieux francophones (surtout institutionnels comme les bibliothèques ou les établissements d’enseignement), rébarbatifs aux anglicismes, on hésite à parler de fantasy (qui tend à être plus accepté dans le milieu littéraire — fandom, édition) et on emploi principalement le terme de “merveilleux.” Personnellement, je préfère de loin parler de “fantasy.”

J’ai assemblé les nombreux sous-genres de la fantasy en deux catégories: les sous-genres thématiques et ceux qui sont plus signalétiques.

  • Le premier des sous-genres thématiques est la fantasy féérique qui inclut les archétypes de contes pour enfants (comme les contes de Hans Christian Anderson, Donald Barthelme (Snow White), James Matthew Barrie (Peter Pan), Jacob & Wilhelm Grimm, Les milles et unes nuits, Charles Perrault, Gabrielle-Suzanne de Villeneuve (La belle et la bête) et autres histoires de fées et de princesses à la Walt Disney), le folklore (comme les contes africains, Kaguya-hime, Tristan et Iseult), les légendes héroïques (comme Beowulf, La chanson de Roland, L’Épopée de Gilgamesh, L’Iliade et l’Odyssée d’Homère, Les sagas Groenlandaises et Islandaises, Das Rheingold de Richard Wagner) et les mythes anciens (comme les douze travaux d’Hercule, Leda et Zeus, etc.) ainsi que toutes les histoires où la magie joue un rôle central et généralement positif (comme la série Harry Potter de J. K. Rowling), qui se déroulent dans un passé idéalisé ou qui réactualisent les mythes (comme la série Percy Jackson de Rick Riordan). On peut y inclure aussi les oeuvres de Richard Adams (Watership Down), Lyman Frank Baum (The Wizard of Oz), Lewis Carroll (Alice’s adventures in wonderland), Geoffrey Chaucer (Canterbury Tales), Jonathan Swift (Gulliver’s Travels), etc.
  • Le second sous-genre est la fantasy historique (parfois appelée médiévale ou arthurienne) qui se déroule dans le passé et utilise des événements et des personnages historiques mais où la magie et le surnaturel sont présents et acceptés. On peut y inclure les épopées arthuriennes (Chrétien de Troyes (Perceval, Romans de la Table Ronde), La Quête du Graal, Xavier de l’Anglais (Le roman du roi arthur)) mais aussi l’oeuvre de Hiroshi Aramata (Teito Monogatari / Tale of the Imperial Capital Saga), Marion Zimmer Bradley (The Firebrand, Le cycle d’Avalon), Susanna Clarke (Jonathan Strange & Mr Norrell), Thomas Day (La voie du sabre), Diana Gabaldon (Outlander / Le Chardon et le Tartan), Lian Hearn (Le clan des Otori), Guy Gavriel Kay (Tigane, The Sarantine Mosaic, A Song for Arbonne, The Lions of Al-Rassan, The Last Light of the Sun, Under Heaven, River of Stars), Lois McMaster Bujold (The spirit ring), et Robert Silverberg (Roma Aeterna).
  • Le troisième sous-genre (et sans conteste l’un des plus populaires) est la fantasy héroïque (heroic fantasy en anglais, aussi parfois appelée “épique” ou “épée et sorcellerie”). Il s’agit d’un récit épique centré sur un seul personnage (ou un tout petit groupe d’amis) qui mène une quête personnelle dans un monde d’inspiration médiéval, sombre et violent, déchiré par des conflits entre différents royaumes or races (humains, elfes, nains, etc), et où il existe une distinction claire entre le Bien et le Mal. On y retrouve, entre autres, l’oeuvre de Leigh Brackets (The sword of Rhiannon), Edgar Rice Burroughs (Cycle de Mars), Robin Hobb (Royal Assassin), Robert E. Howard (Conan the barbarian), Fritz Leiber (Cycle des épées), Anne Robillard (Les chevaliers d’Émeraude), et Roger Zelazny (Nine princes in amber).

Les érudits modernes, dans leur recherches pour mieux définir la fantasy, ont aussi créé toute une série de nouveaux sous-genres que je qualifierais comme signalétiques, car ils offrent une définition plus descriptive que thématique. On y retrouve, entre autres, l’opposition entre la light fantasy et la dark fantasy, mais également entre la low fantasy et la high fantasy.

  • La light fantasy offre une histoire plus légère, souvent humoristique et qui parfois parodie même la fantasy. On y retrouve l’oeuvre de Terry Pratchett (série Discworld, The Nome Trilogy), Piers Anthony (série de Xanth), William Goldman (The Princess Bride), Henry N. Beard & Douglas Kenney (Bored of the rings), ou Hajime Kanzaka (série Slayers).
  • La dark fantasy (ou fantasy noire) se déroule dans une monde sombre et pessimiste, décrit d’une façon plus réaliste (avec nuances et violence: i.e. la conséquence des combats est plus souvent qu’autrement la mutilation ou la mort), et met en action des anti-héros à la moralité ambiguë (en opposition avec le manichéisme de la fantasy classique), égoïstes ou même cyniques, qui vont faire ce qui est nécessaire pour atteindre leur objectif sans trop se poser de questions.  Le récit fait souvent appel à des intrigues politiques, chargées de complots et de conspirations. Elle s’approche parfois de l’horreur et peut aussi être qualifiée de “gritty” ou “grimdark”.

On peut citer en exemple l’oeuvre de Clark Ashton Smith (série Zothique), Michael Moorcock (cycle d’Elric, The War Hound and the World’s Pain), Glen Cook (The Black Company), Stephen King (The Dark Tower), George R.R. Martin (A Song of Ice and Fire  a.k.a, Game of Thrones), la série Ravenloft, Clive Barker (Coraline, The Great and Secret Show), Brent Weeks (Night angel), Joseph Delaney (The Wardstone Chronicles), Stephen Aryan (Age of Darkness), etc.

  • La low fantasy est caractérisée par le fait que le monde réel communique avec un monde où le supernaturel existe et qu’aucun des deux mondes ne connait l’existence de l’autre. Souvent les protagonistes du récit vont se retrouver malgré eux dans un autre monde, parfois sans possibilité de retour, et vont se retrouver impliquer dans une quête ou dans ses conflits internes. On peut citer en exemples les oeuvres de Pierre Bottero (La Quête d’Ewilan, Les Mondes d’Ewilan, Le Pacte des Marchombres), C.S. Lewis (série The Chronicles of Narnia), Philip Pullman (série His Dark Materials — Northern Lights / The Golden Compass), Rick Riordan (Série Percy Jackson, The Heroes of Olympus), ou J.K. Rowling (série Harry Potter).
  • La high fantasy quant à elle se déroule entièrement dans un monde imaginaire qui lui est propre. Celui-ci est généralement très développé (avec sa propre géographie, son histoire, ses mythes, son bestiaire, ses peuplades souvent non-humaines, etc) et offre une atmosphère plutôt médiévale où la magie est très présente. Le récit raconte les aventures épiques de héros qui, pour accomplir leur mission (quête, réaliser une prophétie, sauver le monde), doivent affronter un adversaire redoutable, généralement maléfique. Il s’agit ici de la fantasy typique, classique, voir Tolkienienne (Tolkien étant considéré comme son fondateur). Elle se distingue de l’heroic fantasy par le fait qu’elle met en scène un groupe de héros (et non un héros solitaire) et qu’elle aborde des sujets plus sérieux que simplement vaincre l’ennemi et offre une intrigue plus complexe et sophistiquée.

En plus de J.R.R. Tolkien (The Hobbit, Lord of the Rings), on peut citer en exemples les oeuvres de Terry Brooks (série Shannara), David Eddings (The Belgariad), Michael Ende (Die unendliche Geschichte / L’Histoire sans fin), Raymond E. Feist (The Riftwar Cycle), Terry Goodkind (The Sword of Truth), J.V. Jones (Book of Words), Robert Jordan (The Wheel of Time), Guy Gavriel Kay (The Fionavar Tapestry), Ursula K. Le Guin (série Earthsea), Chris Metzen, Richard A. Knaak, Jeff Grubb & Christie Golden (série Warcraft), Margaret B. Weis & Tracy Hickman (Dragonlance), et Tad Williams (Memory, Sorrow, and Thorn).

En plus de ces principaux sous-genres de fantasy, on en retrouve encore une multitude d’autres, moins importants, sur lesquels je n’ai pas cru bon de développer: la fantasy animalière, romantique, uchronique, urbaine, la manner fantasy, la science fantasy, la space fantasy, le réalisme magique, etc. La fantasy est également très présente dans la littérature jeunesse.

Si, à l’opposé du fantastique, la fantasy à des racines moins profonde au Québec, elle n’en est pas moins populaire ces dernières années grâce à des auteurs comme Joël Champetier (Le mystère des Sylvaneaux, Les sources de la magie, Le voleur des steppes), Sébastien Chartrand (série Le crépuscule des arcanes), Héloïse Côté (série Les Chroniques de l’Hudres, Les Exilés, série Les Voyageurs, La tueuse de dragons), Yves Meynard (Le livre des chevaliers, Les marches de la lune morte), Anne Robillard (série Les Chevaliers d’Émeraude), ou Élisabeth  Vonarburg (série Reine de mémoire). La fantasy urbaine y est aussi bien représentée avec Éric Gauthier (Montréel), Claude Lalumière (Odyssée chimérique), Esther Rochon (La rivière des morts), ou Élisabeth Vonarburg (Hôtel Olympia).

 

Science-fiction

Le DALIAF définit la science-fiction (SF) comme une “fiction cohérente, située dans un monde en relation avec celui du lecteur, qui intègre un ou des éléments qui sont scientifiquement impossibles dans la réalité du lecteur, mais dont la vraisemblance est démontrée par une ou des explications rationnelles dans la réalité du protagoniste, ce qui élimine toute rupture de normalité pour ce dernier.”

C’est le genre le moins difficile à définir car il tiens surtout (mais pas toujours) à un thème: le futur. C’est un exercice où, à travers un récit, l’auteur tente d’imaginer l’avenir d’un point de vue physique (culture matérielle, développement technologique, ou même notre propre évolution biologique) et/ou psychologique (l’évolution socio-politique de notre civilisation). La science-fiction peut aussi, en racontant l’histoire d’une civilisation “autre”, non-humaine, devenir un miroir qui porte la réflection sur notre société et ce qu’est la nature humaine.

Aussi, contrairement à la fantasy,  la SF est circonscrite à un nombre plus restreint de sous-genres. Toutefois, si il est facile d’attribuer une oeuvre au genre de la science-fiction, il est parfois plus difficile de déterminer à quel sous-genre elle appartient… En effet, plusieurs de ces sous-genres sont issue de l’insatisfaction que les intervenants du milieu littéraire avaient en regard de la terminologie du genre. On a d’abord parlé d’anticipation, puis de science-fiction, mais comme le genre évoluait rapidement (et n’avait souvent rien à voir avec la science) on recherchait un nouveau terme pour en définir les limites et les caractéristiques. On a parlé de “conjecture rationnelle” mais un certain consensus s’est finalement établit autour du terme “spéculative-fiction”. Toutefois beaucoup ont fini par revenir à l’utilisation du terme “science-fiction”, aussi inadéquat qu’il soit.

J’ai regroupé les sous-genres de la SF en cinq grandes catégories: l’anticipation, la hard-science, le space-opéra, la spéculative-fiction et l’uchronie.

  • Le premier de ces sous-genres est l’anticipation, qui constitue un peu l’ancêtre de la science-fiction. C’est un récit où l’auteur tente d’imaginer et de décrire le futur proche. On peut ainsi anticiper un avenir idéal (utopie) ou un avenir ravagé par l’adversité et les catastrophes (dystopie). Depuis toujours l’Homme a sans doute tenté d’imaginer l’avenir que ce soit avec l’Histoire véritable de Lucien de Samosate (IIe siècle), l’Utopia de Thomas More (1516), l’Histoire comique des États et Empires de la lune et du soleil de Cyrano de Bergerac (1627), le Somnium de Johannes Kepler (1634), Man in the moon de Francis Godwin (1638), le Micromégas de Voltaire (1752) ou L’An 2440, rêve s’il en fut jamais de Louis-Sébastien Mercier (1771).

Le terme “anticipation” est surtout attribué aux auteurs du dix-neuvième et début du vingtième siècle (Faddeï Bulgarije (Voyage dans le monde du XXIXe siècle, Scènes de la vie privée en 2028), Félix Bodin (Le roman de l’avenir), Émile Soumettre (Le monde tel qu’il sera), Jules Vernes (De la  terre à la lune, Autour de la Lune, Vingt mille lieues sous les mers, Les Cinq Cents Millions de la Bégum, Paris au XXe siècle ), H.G. Wells (The Time Machine, The War of the Worlds, The War in the Air), Maurice Renard (Le péril bleu), J.-H. Rosny aîné (La mort de la terre), Aldous Huxley (Brave New World), George Orwell (1984)) mais il est aussi utilisé pour qualifier des oeuvres modernes (par exemple celles de René Barjavel (Ravage), Pierre Boulle (La Planète des singes), Ray Bradbury (Fahrenheit 451, Martian Chronicles), John Brunner (Stand on Zanzibar), Philip K. Dick (The Penultimate Truth), Stephen King (The Long Walk), ou P. D. James (The Children of Men)) et tout particulièrement des récits post-apocalyptiques (tel que The Road  par Cormac McCarthy ou I Am Legend par Richard Matheson.

Personnellement j’aurais tendance à classer le cyberpunk plus avec l’anticipation qu’avec la hard-science (malgré ce que peu en dire Norman Spinrad). Le cyberpunk décrit un futur proche, dystopique, où la société a été grandement changée par l’avance technologique (cybernétique et technologie de l’information, l’internet évoluant vers un “cyberspace”), et met en jeu un anti-héros (souvent un hacker) qui doit lutter contre des multinationales qui ont pris le contrôle du monde. Si John Brunner (The Shockwave Rider) en est possiblement le précurseur, ce sous-genre est véritablement né avec l’oeuvre de William Gibson (Neuromancer, Count Zero, Mona Lisa Overdrive, Virtual Light, Idoru, All Tomorrow’s Parties). On peut aussi y inclure les oeuvres de Greg Bear (Blood Music), Pat Cadigan (Mindplayers, Synners, Patterns), George Alec Effinger (When Gravity Fails, A Fire in the Sun, The Exile Kiss), K. W. Jeter (Dr. Adder, The Glass Hammer, Blade Runner 2-4, Noir), Rudy Rucker (Software, Wetware), John Shirley (Eclipse Trilogy, City Come A-Walkin), Bruce Sterling (Schismatrix, Crystal Express, Islands in the Net, Heavy Weather, Holy Fire), Michael Swanwick (Vacuum Flowers), ou encore Walter Jon Williams (Hardwired, Voice of the Whirlwind, Solip:System).

  • Le deuxième sous-genre de la SF est la hard science. Il s’agit d’un récit qui se déroule dans l’avenir et où l’auteur accorde une grande importance aux éléments scientifiques et particulièrement à leur vraisemblance. Le terme fait référence aux sciences “dures” (par opposition aux sciences humaines et sociales) comme les mathématiques, la physique, la chimie et la biologie. Les auteurs de hard-science ont d’ailleurs souvent une formation en sciences. Ceux-ci extrapolent donc nos connaissance actuelles, en une sorte de spéculation scientifiques, pour former l’arrière-plan du récit et même parfois son sujet. C’est un des sous-genres fondamental de la SF, qui est apparut,  et a connu une grande popularité, durant l’ “Âge d’Or” de la SF (1940-1960) et auquel beaucoup d’auteurs sont revenu vers la fin du vingtième siècle (SF contemporaine) après une période plus expérimentale connue comme la “New Wave” (1960-1980).

En exemple on peut citer les oeuvres d’Isaac Asimov (Caves of steel, série Fondation, Fantastic Voyage, Fantastic Voyage II: Destination Brain), Stephen Baxter (Titan, Voyage, Poussière de Lune), Greg Bear (Darwin’s Radio), Gregory Benford (Timescape), David Brin (Earth), Arthur C.Clarke (Childhood’s End, 2001: a space odyssey, Rendez-vous with Rama, The Fountains of Paradise), Hal Clement (Cycle of fire, Mission of gravity), Ivan Efremov (?????????? ????????? / La Nébuleuse d’Andromède), Robert Forward (Dragon’s Egg, The Flight of the Dragonfly), Fred Hoyle (The Black Cloud), Larry Niven (série Ringworld), Kim Stanley Robinson (Mars trilogy), et Charles Sheffield (The McAndrew Chronicles).

  • Le troisième sous-genre de la SF est le space opera. C’est un peu le cousin du western car il offre de grandes aventures, cette fois aux frontières inter-sidérales, et s’oppose à la hard-science par le fait qu’il ne cherche aucunement à offrir la moindre vraisemblance. Il s’agit de saga épiques à l’échelle galactique, où l’on voyage de planète en planète à bord d’astronefs, pour explorer ou défendre son empire contre des extra-terrestres hideux à grands coups de pisto-laser! C’est un sous-genre issue de l’ “Âge d’Or” de la SF (par exemple avec Poul Anderson (The Time Patrol, Agent of the Terran Empire), Edmond Hamilton (The Star kings, série Starwolf), E.E. « Doc » Smith (série Lensmen [Fulgur], série Skylark), ou Jack Williamson (The Legion of Space)), où il offrait des récits un peu simpliste et naïf, et a évoluer durant l’époque du “New Wave” jusqu’à la SF contemporaine en offrant des thématiques un peu plus sérieuses et complexes. C’est un sous-genre qui se prête bien à l’adaptation cinématographique comme l’ont prouvé Flash Gordon, Star Trek, Star Wars et Battlestar Galactica

On peut également citer en exemple l’oeuvre de Iain M. Banks (série Culture), Lois McMaster Bujold (saga Vorkosigan), L. Sprague de Camp (cycle Viagens Interplanetarias), Orson Scott Card (série Enders), C. J. Cherryh (Downbelow Station), Samuel R. Delany (Babel-17, Nova), Gordon R. Dickson (Cycle de Childe-Dorsai), Robert A. Heinlein (Citizen of the Galaxy, Starship Troopers, Stranger in a strange land), Frank Herbert (série Dune), R.A. Lafferty (Space Chantey), K.H. Scheer & Clark Darlton (série Perry Rhodan), Norman Spinrad (The Men in the Jungle), Brian Stableford (série Hooded Swan [Grainger]), Somtow Sucharitkul (série Inquestor), E. C. Tubb (série Dumarest), A.E. Van Vogt, (The world of A), et Jack Vance (Demon Princes).

  • Le quatrième sous-genre de la SF est la spéculative-fiction. C’est un terme controversé qui pour certain ne décrit qu’un mouvement marginal et qui, pour d’autre, est un terme générique incluant toutes les littératures de l’imaginaire. Il a été créé pour définir une littérature qui, à partir des années soixante, tentait d’atteindre de nouveaux horizons en utilisant (en contre-réaction à la hard-science de l’“Âge d’Or”) les sciences humaines et sociales. On voulait conserver le concept de la science-fiction (et son acronyme!) en explorant, non plus la civilisation du futur, mais l’Homme du futur et faire une littérature d’avant-garde au style plus soigné, plus expérimentale, plus introspective, sociologique, psychologique, et même politique. Pour ma part, j’y inclus tous les mouvements de renouveau littéraire de l’époque comme le “New Thing” et le “New Wave”. Certains critiquerons sûrement en disant que, finalement, c’est le sous-genre de SF où j’inclus “tout le reste”!

Ce sous-genre a d’abord pris la forme de nouvelles dont la coalescence en anthologies (par Harlan Ellison (Dangerous Visions) aux U.S.A., Judith Merril (England Swings SF: Stories of Speculative Fiction) en Angleterre et Daniel Walther (Les Soleils noirs d’Arcadie) en France) a fortement contribué à en attiser l’intérêt. On peut citer en exemple, entre autres, les oeuvres de Brian Aldiss (Non-Stop, Hothouse), J.G. Ballard (The Atrocity Exhibition, High-rise), Alfred Bester (The Demolished Man), Frederic Brown (Martians, Go Home), John Brunner (Stand on Zanzibar, The Jagged Orbit, The Sheep Look Up, The Shockwave Rider), Pierre Christin (Les Prédateurs enjolivés), Philip K. Dick (Ubik, The Three Stigmata of Palmer Eldritch, Clans of the Alphane Moon), Thomas M. Disch (On Wings of Songs), Philip Jose Farmer (Riverworld), Philip Goy (Le Livre/machine), Michel Jeury (Les Singes du temps), C.M. Kornbluth & Frederic Pohl (The Space Merchants), R. A. Lafferty (Arrive At Easterwine), Ursula K. Le Guin (The left hand of darkness, The Dispossessed), Stanislas Lem (Kongres futurologiczny / Le Congrès de futurologie), Christopher Priest (The Inverted World), Robert Silverberg (Nightwings, The World Inside), Clifford D. Simak (City), John T. Sladek (The Reproductive System / Mechasm), Norman Spinrad (Bug Jack Barron), Theodore Sturgeon (The Dreaming Jewels, More Than Human), John Varley (Titan), Ian Watson (The Embedding), et Roger Zelazny (This immortal).

  • Le dernier sous-genre de la SF, l’uchronie, n’est peut-être qu’un thème mais il se distingue suffisamment pour que je le mentionne ici. C’est une variation sur le thème du temps qui nous présente, non pas un monde alternatif (comme un univers parallèle), mais un temps alternatif où l’Histoire aurait pris un cours différent pour une raison ou une autre. On peut citer en exemples des ouvrages de Pierre Barbet (L’Empire du Baphomet), L. Sprague de Camp (Lest Darkness Fall), Len Deighton (SS-GB), Philip K. Dick (The Man in the High Castle), Robert Harris (Fatherland), Stephen King (22/11/63), Fritz Leiber (The Big Time), Ward Moore (Bring the Jubilee), Keith Roberts (Pavane), Kim Stanley Robinson (The Years of Rice and Salt), Salman Rushdie (The Ground Beneath Her Feet), Robert Silverberg (The Gate of Worlds, Roma Eterna), Norman Spinrad (The Iron Dream), Paul van Herck (Caroline oh! Caroline), Roland C. Wagner (Rêves de gloire), et John William Wall [Sarban] (The Sound of His Horn).

Au sein de l’uchronie, on retrouve notamment le steampunk qui utilise spécifiquement l’époque de la révolution industrielle (apparition de la machine à vapeur) et l’époque victorienne. On y retrouve les oeuvres de Brian Aldiss (Frankenstein unbound), James Blaylock (Homonculus), William Gibson & Bruce Sterling (The Difference Engine), K. W. Jeter (Infernal Devices), Tim Powers (The Anubis Gates, The Stress of her Regard, On Stranger Tides), Michael Moorcock (série A Nomad of the Time Streams, The Dancers at the End of Time, Gloriana or the Unfulfill’d Queen), Christopher Priest (The Space Machine), et Brian Stableford (The Werewolves of London).

Comme pour le fantastique, la science-fiction québécoise est riche et abondante. Si on en retrouve quelques exemples au XIXe siècle (Napoléon Aubin (Mon voyage de Québec à la lune [1839]), Wenceslas-Eugène Dick, Jules-Paul Tardivel (Pour la patrie [1895])), au début du XXe siècle (Jules Jehin (Les Aventures extraordinaires de deux Canayens [1918]),  Ubald Paquin (La Cité dans les fers [1926]), Jean-Charles Harvey (L’Homme qui va [1929]), Emmanuel Desrosiers (La Fin de la Terre [1931])), ou même dans les années soixante (Jean Tétreau (Les Nomades), Yves Thériault (Si la bombe m’était contée, série Volpek), Maurice Gagnon (Les Tours de Babylone), Suzanne Martel (Surréal 3000)), ce n’est qu’avec les années soixante-dix que l’on observe le véritable début de la SFQ moderne autour du magazine Requiem / Solaris (dont j’ai déjà fait un bref historique en commentant le #198).

Les principaux représentants de la SFQ sont Jean-Pierre April (Le Nord électrique), Alain Bergeron (Phaos), Joël Champetier (La Taupe et le Dragon), Laurent McAllister (Suprématie, Les Leçons de la cruauté), Yves Meynard (L’enfant des mondes assoupis), Francine Pelletier (trilogie Le Sable et l’Acier), Esther Rochon (Le rêveur dans la citadelle), Daniel Sernine (Chronoreg), Jean-Louis Trudel (Pour des soleils froids), et Élisabeth Vonarburg (série Tyranaël).

Finalement, peut-on vraiment définir la SF par ses sous-genres? Il y a-t-il encore des sous-genres dans la SF contemporaine? Parfois j’ai l’impression qu’il y a autant des sous-genres qu’il y a d’auteurs… A part quelques sous-genres bien délimités (comme la hard-science ou le space opera), la SF semble définit plus par ses époques et tendances que par ses sous-genres. En fait, il serait plus facile de déconstruire le genre en discutant ses thèmes (voyage spatial, voyage sans le temps, robots, extra-terrestres, mutants, fin du monde, etc. ), mais c’est un tout autre sujet d’essai…

 

En conclusion, il ne faut pas oublier que, de nos jours, les romans sont souvent constitué d’un savant mélange de genres. On trouve souvent, par exemple, de nombreux romans de science-fiction humoristique (Douglas Adams: The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy, Frederic Brown: What Mad Universe, Bob Ottum: All Right, Everybody Off the Planet!, Robert Sheckley: Mindswap, Kurt Vonnegut Jr.: Cat’s Cradle),  d’espionage horrifique (Charles Stross: The Atrocity Archives), de fantastique historique (Sébastien Chartrand: série Le crépuscule des arcanes), ou de polars historiques (Umberto Eco: Le nom de la rose).

Voilà, j’espère que ce petit essai aura contribué à introduire un peu d’ordre et de clarté dans la définition des genres. Malheureusement, cela n’empêchera pas des idioties telles que classer la série Vampire de Anne Rice comme de la fantasy ou la série Shannara Chronicles de Terry Brooks comme du space opera (comme je l’ai vu dans le catalogue des bibliothèques de Montréal) !

Note: d’autres hyper-liens seront ajouté avec le temps (pour les auteurs et les titres).

Voir aussi: (1) Littératures rationnelles

Poursuivre la lecture avec: (3) Sources et bibliographie complémentaire

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