Vérité évidente en soi?

Une expérience récente m’a fait me questionner sur le racisme et la controverse du “racisme inversé.” Un collègue (d’origine haïtienne) me faisait remarquer que si un blanc dit “il y a trop de noirs ici” ce serait définitivement du racisme. Par contre, lorsqu’un noir dit “il y a trop de blancs ici” (ou similairement “il n’y a pas assez de noirs ici”) ce n’est pas considéré comme du racisme. Pourtant, me disait-il, c’est exactement la même situation (en miroir) et c’est donc dans les faits aussi du racisme. Ou plutôt, c’est ce que bien des gens considère comme du “racisme inversé.” Pourtant, on fait tout un plat en décriant ce concept, en affirmant fortement que le “racisme inversé” n’existe pas, que c’est un mythe.

J’ai beaucoup de difficulté à comprendre cette controverse car j’ai moi-même souvent eut l’impression de subir ce racisme inversé. Pour moi, quand on me fait sentir mal simplement parce que je suis blanc ou que l’on me traite de raciste — moi qui pourtant fait toujours beaucoup d’efforts pour traiter les gens équitablement (cela arrive surtout quand je critique ou fait un reproche à une personne qui passe devant moi dans une ligne d’attente ou qui ne respecte pas un règlement; C’est sans doute un mécanisme de défense quand ils sont pris en défaut, de tout de suite sortir la carte du racisme même si elle n’est pas justifiée). Je ne peux certainement pas comprendre toute l’horreur de subir le racisme (quoi que je vois et ressens ce que mon épouse expérimente parfois) mais je crois pouvoir en comprendre la frustration — ce n’est certes pas amusant de constamment subir l’oppression juste à cause de la couleur de sa peau (alors que pourtant on ne fait jamais de discrimination parce que les gens sont blonds ou roux ou qu’ils ont les yeux bleus ou de gros nez). 

Cela ne devrait pas exister et c’est exaspérant et enrageant de le subir. Ce n’est toutefois pas une raison de passer ses frustrations sur les autres qui eux ne vous ont jamais rien fait. Je comprend que l’oppressé puisse développer de la haine pour l’oppresseur mais si il projète cette haine avec violence (verbale ou physique) contre lui (ou toute autre personne qui lui ressemble sans nécessairement ÊTRE un oppresseur lui-même) cela en fait un acte tout aussi répréhensible, et l’oppressé sombre aussi bas dans l’abîme moral que l’oppresseur. Cela ne fait que renforcer le mépris ou la haine de l’oppresseur, ou de la faire naître chez celui qui, jusqu’alors, n’avait aucune raison de la ressentir. C’est ainsi que se perpétue la haine dans un cycle éternel et que le feu du racisme couve toujours quelques part. Il faut l’éteindre, l’éradiquer à tout jamais. Car, au bout du compte, il n’y aura toujours qu’une seule race d’hommes sur terre: la race humaine.

L’argument contre le “racisme inversé” est que c’est la défense des blancs pour justifier leur racisme. Ce serait l’invention du mouvement alt-right, des suprémacistes blancs et des opposants à la discrimination positive. Il n’en demeure pas moins que le “racisme inversé” est un fait — mais est-il aussi grave que le racisme? Le problème tient en fait à la définition que chacun donne au “racisme inversé” et même au racisme. Peut être que le gens ne parlent pas de la même chose… Si il n’y a pas de concensus (un example est la différence de définition du “racisme inversé” entre les pages française et anglaise de Wikipedia!), on s’entend généralement à définir le racisme comme étant une oppression et exploitation perpétrée par une race dominante contre un groupe minoritaire (par exemple l’esclavage). Les minorités raciales ou ethniques n’ayant pas le pouvoir économique et/ou politique de nuire aux intérêts de la majorité blanche, il ne peut donc pas y avoir de “racisme inversé”. Dans ce cas-ci, il serait donc plus juste de parler de préjudice racial ou de discrimination inversée. Ou alors si une personne a de la haine envers une autre personne parce qu’elle est différente, c’est de la xénophobie. Au delà de tout cet excès de “political correctness”, je crois que c’est jouer avec les mots. Dans l’esprit du commun des mortels, si tu haït l’autre parce qu’il est d’une race différente, c’est du racisme peu importe la race ou le statut sociale.

Sidebar: Qui a oppressé qui en premier?… On en revient à un paradoxe du type de l’oeuf et de la poule qui me rappel beaucoup mon propre questionnement sur l’origine de la souveraineté au Québec: le canadien-anglais hait-il le québécois parce qu’il est souverainiste? Ou le québécois hait-il l’anglais parce qu’il est oppressé? Et est-il souverainiste parce qu’il hait l’anglais qui lui tape dessus parce qu’il est souverainiste? Allez donc savoir où tout cela a commencé! Probablement parce que le québécois hait l’anglais qui l’a conquit et, après une tentative échouée de génocide culturel (lisez le rapport Durham), il l’a oppressé en le gardant longtemps peu éduqué et pauvre. L’anglais hait le québécois qui persiste à être différent (catholique et francophone) et rebel. Mon père, qui a beaucoup voyagé dans l’ouest canadien dans les années ’50 et ’60, a été témoin de cette haine des anglais (voitures avec des plaques d’immatriculation du Québec prisent pour cibles, travailleur québécois tabassés, etc.) et c’est ce qui l’a rendu souverainiste. Ce n’est sans doute pas par hasard que Vallières nous a appelé les “nègres” blancs d’Amérique… Enfin, je m’égare.

Je comprend parfaitement que ce serait une fausse équivalence de prendre la “discrimination” faite envers les blancs par les noirs et de la comparer avec tout l’historique du racisme que ceux-ci ont subi (particulièrement dans le cas des noirs américains et du lourd passé de l’esclavage). De la même manière, la “discrimination” qui m’est faite lorsque l’on me traite de raciste (et la tentative d’intimidation que cela représente) n’est AUCUNEMENT comparable à l’échelle de l’humiliation, de la frustration  et de l’oppression ressenti par la personne de couleurs qui subie le racisme. Toutefois, de mon point de vue, ce que je ressent est de l’oppression aussi — juste à plus petite échelle — et qui ne devrait pas être rendue triviale juste parce que je suis blanc. C’est un peu la faute des média qui ont perpétué le mythe du noir violent et criminel — d’où la réaction immanquable de la vieille dame qui resserre sa sacoche contre elle quand un jeune noir entre dans la pièce ou monte dans l’autobus. Un mythe qui est exploité tant d’un côté comme de l’autre pour générer la peur et un malaise sociale… Et bien sûr, indépendamment de son appartenance ethnique, c’est d’abord le caractère et l’éducation d’un individu qui le fait agir de façon stupide, irréfléchie ou inconsidérée.

Je trouve quand même au peu insignifiant tout ce pointage de doigts, ce “il a commencé en premier” et ce “il me hait plus que je le hait”. Cela en est presque enfantin. Le racisme, peu importe qui le commet, est un acte condamnable. En bout du compte, toute le monde devrait être respectueux envers l’autre — peu importe la couleur de sa peau ou sa culture d’origine. Point.

Note: Le titre de ce billet, “Self evident truth?”, fait référence à la Déclaration d’indépendance Américaine qui proclame “Nous soutenons que ces vérités vont de soi, que tous les hommes sont créés égaux.” C’est beau l’idéalisme…

(Mise à jour: 2019/03/10)

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