Et moi je rêvais de sa tendresse
Je serais descendu
Et je l’aurais cueillie
J’aurais exposé la candeur
De ses frêles pétales roses
S’ils n’étaient condamnés à se flétrir
Dès que je les eusse humés
Ô ! Douce Panthée !
Y a-t-il un monde
Où nous puissions nous rejoindre
Sans l’un et l’autre se blesser
Sur l’aiguillon cruel
De la vie immortelle
Où suinte le poison amer
De ce qui ne peut être ?
Ma tristesse est si grande
Que d’elle naît un monde cristallin
Enveloppant un océan de larmes retenues
Qui frémissent avec lenteur
Au cri de ma mélancolie
Mon désir est si vaste
Que son rift rencontre parfois l’océan
En un grondement de vapeur iridescente
Dans ma nuit éternelle
J’attendais son jour chaud et vif
Mais il ne vint pas éclairer mon récif
Car elle était mortelle…
Isléaval
1984/11/03
Publié originalement (page 41) dans Inscriptions sur une pierre tombale icosaédrique datant de 1986, par Claude J. Pelletier. Laval: Publications Ianus, Février 1990. 54 pages. ISBN 2-9801683-1-9. Édition limitée à soixante-quinze exemplaires. [ BAnQ • WorldCat ]
Série “Poésie du dimanche” : La danse du cafard • Divagation sous la pluie • Rideau • Je veux m’évader [Et pourtant je suis libre!] • Sabbat • Vision morbide en rondel • L’attente • La sentence du sonnet • En la demeure d’Hadès …
Voir aussi mes haïku…
Note: Ici, aucune forme, métrique ou rimes. Seulement un certain rythme et des images suggérées… C’est une forme de poème en prose (poésie prosaïque ?). Coïncidence étrange, ce poème a été écrit il y a trente-cinq ans, jour pour jour !
Le nom de Panthée ne fait pas référence au personnage mythologique (roi de Thèbes) ou littéraire (dans la Cyropédie de Xénophon elle est la femme d’Abradate; elle réapparait souvent chez les modernes, par exemple dans la tragédie de Tristan L’Hermite ou même dans Prometheus Unbound de Shelley, et inspire aussi le court leitmotiv de Satie). Je fais plutôt allusion à la maîtresse de Lucius Verus [1] (sur lequel je travaillais à l’époque [2]). Il l’aurait rencontré à Antioche durant la campagne contre les Parthes; elle est mentionnée par Marcus Aurelius (Pensées: VIII, 37) et Lucien de Samosate la décrit comme une femme d’une beauté exceptionnelle (dans Les portraits / Εικόνες / Imagines). Toutefois, ici, je mets surtout l’accent sur le sens grec du nom [3] pour suggérer une femme idéale, qui incarne toutes les qualités féminines…
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[1] “Lucien, également du IIe siècle, fait dire, dans ses Εικόνες, par un des personnages, que Verus est un empereur « grand, bon et aimable ». Cette œuvre curieuse célèbre la grande beauté physique et morale d’une femme, nommée Panthée, que Verus a dû connaître à Antioche et qui a peut-être été sa maîtresse. Telle que Marc-Aurèle nous la représente dans ses Pensées (VIII, 37), pleurant Verus sur sa tombe, longtemps après sa mort, elle ne donne point l’impression d’être une de ces femmes légères auxquelles Antioche devait sa renommée à cette époque.” [ P. Lambrechts , “L’empereur Lucius Verus. Essai de réhabilitation” in L’antiquité classique, Tome 3, fasc. 1, 1934. pp. 173-201]
[2] Étrangement, c’est ce même texte de Lambrechts, cité plus haut, qui m’a inspiré et qui me servi de base pour l’argumentaire de mon mémoire de maîtrise — sur Lucius Verus et l’image qu’en a rendue la Vita Veri de l’Histoire Auguste — sur lequel j’ai travaillé entre 1984 et 1987. C’est incroyable toute l’information que l’on retrouve sur l’internet de nos jours. Si seulement cela avait existé à l’époque !
[3] πάνθειος / pantheios : « commun à tous les dieux », qui réunit les attributs de toutes les divinités.