Carnet de bord de l’absurde

Je poursuis ce voyage d’une durée indéterminée, et toujours plus profondément, au coeur de l’absurde humain. 002.020.355 AIHC (Ab imperium hominum condita — aka GST, Galactic Standard Time).

Comme vous le savez tous, je travaille dans un “dépôt culturel” (aka le Centre de Préservation et de Diffusion de la Culture Humaine w23/h8 — CPDCH w23/h8). Malgré une formation supérieure, j’y suis un simple commis et, donc, je manipule surtout les ouvrages dans touts les formats (drives quantiques, cartes livrels, capsules mémorielles, rouleaux et quelques antiques disques optiques et blocs séquentiels). Diffuser et préserver l’information, certes, mais aussi classer et reclasser les supports, parfois réorganiser ou déménager des sections entières. C’est un travail plutôt physique — même si le commis est techniquement considéré comme un fonctionnaire impérial, c’est en fait plus un travail d’ouvrier. Pourquoi ne pas engager des androïdes tant qu’à y être… Quoiqu’il y a déjà un robot qui travaille au département des retours (quand il n’est pas en panne, bien sûr). J’imagine que la main d’oeuvre humaine est plus fiable que les robots et revient moins cher que les andros…

Toutefois, si l’aspect physique est une chose, ce n’est rien comparé à l’épuisement mental ou psychologique que cet environnement de travail impose. Ce n’est pas tant la lourde responsabilité de protéger et de servir le savoir humain, mais plutôt toute l’absurdité du processus. Surtout quand on est une personne qui suit des principes de logiques plutôt strictes. Les gens ne me croient jamais quand j’essai de leur expliquer cet état des choses. Il faut croire que des siècles de bureaucratie insensible nous ont endormi face à l’évidence. Par exemple, si l’Autorité me demande de replacer les SSD (Super-Solid Disc) pour les tout-petits qui avaient été mis en réserve pour des travaux de rénovations, je les replace — mais seulement après avoir pris la peine de faire approuver la disposition de la collection par un technicien (car avoir trop d’initiative n’est pas encouragé). Toutefois, j’apprend par la suite qu’un autre technicien avait déjà préparé un plan de disposition sans le communiquer dans la hiérarchie et je dois donc replacer cette section encore une fois selon le nouveau plan ! 

Ce genre d’erreur et de miscommunication est fréquent et ce ne serait pas vraiment grave si le plan avait été élaboré avec soins en analysant tout ses aspects. Malheureusement sa conception avait été hâtive et déficiente, causant des failles logiques tellement évidentes que c’en était absurde. En effet, ce plan allait à l’encontre de la disposition des collections dans tout le reste du dépôt ! Il est d’usage que les documents en langues romanes soient toujours classés avant les documents en langues germaniques occidentales et les documents de fiction toujours classés avant les documentaires. Ce n’était évidemment pas le cas de ce plan, qui disposait tout dans l’ordre inverse ! N’avait-on pas convenu que nous profiterions des travaux pour réorganiser plus logiquement la disposition des collections ? De plus, le plan était spatialement inadéquat car il prévoyait plus de place pour une section qui en demandait moins, et moins de place pour une section qui en aurait nécessité plus. J’ai donc dû faire des ajustements au plan de toute façon. Brava !

Ce n’est malheureusement pas la première fois que ce genre d’erreur se produit. Et lors d’une récente réassignation, j’ai pu constater que c’est même pire dans d’autre dépôts. Il n’y a donc aucune surprise dans ce fait. Le plan respecte bien la tradition d’illogisme des dépôts et de l’Urbanité. Pas de surprise, mais je ressens toujours la même indignation qui se refuse à mourir malgré les affronts répétés. Il s’agit de cette même usuelle inefficacité et indifférence bureaucratique (pour ne pas dire crasse incompétence) qui a épuisé la planète et nous a forcé à commencer à se préparer à transiter vers d’autres systèmes stellaires. Mais, bon, à ce train là, on devrait pouvoir envoyer du monde au-delà de l’orbite de Jupiter d’ici un siècle ou deux !

Suis-je le seul à remarquer ces défaillances? Et si oui, cela signifie-t-il que tout le reste de mes collègues soient des idiots? Ou est-ce parce que je suis un génie? Je ne me sens pas prêt à accepter ni l’une, ni l’autre de ces affirmations… Pour l’instant, je ne peux qu’exécuter les ordres, comme le petit drone que l’on veut que je sois. Mais j’insiste pour faire connaître mon mécontentement face à cette décision — même si, bien sûr, je n’ai pas vraiment voix au chapitre. Mais ne me suis-je jamais gêné pour faire connaître une opinion?

À suivre ?

[ Translate ]

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s