Les femmes romaines (6)

Theodora

J’ai plusieurs pièces byzantines, généralement en piètre état, et celle-ci est donc probablement l’une des rares dont je vais vous parler. Considérant l’état de la pièce, son identification est incertaine. Quoi qu’il en soit c’est une occasion pour moi de parler d’une femme qui n’a pas seulement été l’épouse d’un empereur mais qui a véritablement régner sur Constantinople. 

Bien sûr, lorsque l’on parle de l’impératrice Theodora, il faut faire attention de ne pas la confondre avec la demi-douzaine d’impératrices byzantines qui ont porté le même nom, dont la plus célèbre est sans aucun doute l’épouse et co-imperatrice de Justinien (527-548) — mais il y a aussi, entre autres, l’épouse de Constance 1er (293-306) et l’épouse de Théophile (830-842). Dans ce cas-ci il s’agirait d’une pièce de l’impératrice Théodora Porphyrogénète, qui fut la dernière descendante de la dynastie macédonienne à régner sur le trône de Constantinople.

Theodora III Porphyrogenita (Θεοδώρα Πορφυρογενίτη) est la plus jeune des trois filles de l’empereur Constantin VIII: Eudoxie (qui prend le voile jeune après avoir souffert de la petite vérole), Zoé (née vers 978) et Théodora (née vers 980). Pour assurer sa succession, son père marie d’abord Zoé à un vieux sénateur, Romain III Argyre, avec qui elle est co-impératrice de novembre 1028 à avril 1034. Zoé, jalouse de sa soeur Théodora (qui était, dit-on, plus belle et plus intelligente), l’accuse de comploter contre elle et l’exile au monastère de Petrion. À la mort de son époux, Zoé se remarie à Michel IV (avec qui elle continue de régner de avril 1034 à décembre 1041). Lorsque celui-ci décède à son tour, elle adopte son neveu, Michel V (décembre 1041 à avril 1042), mais celui-ci l’exile pour prendre le pouvoir seul. Toutefois, une révolte populaire le force à fuir et le peuple réclame le retour de Théodora pour qu’elle partage le pouvoir avec Zoé. La bonne entente ne durera cependant que trois mois. Zoé se marie pour une troisième fois à Constantin IX, avec qui les deux soeurs partagent le pouvoir de juin 1042 à juin 1050. 

À la mort de Zoé, Théodora retourne au couvent et Constantin IX règne seul jusqu’à sa mort en janvier 1055. Théodora revient alors à Constantinople où elle peut enfin régner sans avoir à partager le trône. Elle tient les rênes du pouvoir d’une main ferme: elle préside le sénat, fait une purge parmi les hauts fonctionnaires et le commandement militaire (les remplaçant par ses propres eunuques), contrôle les excès des nobles et s’ingère même dans le choix des évêques — ce qui lui attire de nombreux ennemis. Ne s’étant jamais marié, elle n’a aucun successeur désigné lorsqu’elle meure de troubles intestinaux (possiblement d’une appendicite) en août 1056, à l’âge de soixante-seize ans. Ses conseillers mettent sur le trône Michel VI, un vieux fonctionnaire et ancien ministre des finances militaires. Après un bref règne et des troubles civils, Isaac Ier prends le pouvoir, signalant le début de la dynastie des Comnène. Théodora aura été une impératrice intelligente et forte dont le règne tumultueux a malheureusement eut des répercussions néfastes, puisque sa politique étrangère causa non seulement le schisme de 1054 mais aussi créa des tensions avec le Califat fatimide qui bloqua alors l’accès des pèlerins aux Saint-Sépulcre.

IMG_8739-8744L’aspect caractéristique et aisément reconnaissable de ce nummus (aussi appelé follis) de qualité plutôt passable (Fair, Ae, 30 x 32 mm, 9.164 g, payé environ $5 le 1985/01/06, flan mince et possiblement refrappé) c’est son revers qui nous offre l’inscription IC-XC / NI-KA divisée par les quatre angles d’une croix ornée de bijoux (ou du moins c’est ce que suggère le motif granulé). Sur l’avers aucune inscription n’est visible mais on y retrouve une figure du Christ, dont on voit le trois-quart du corps, debout de face, la main droite levée en une bénédiction, et la main gauche tenant les Évangiles. Si l’on consulte le Catalogue of the Imperial Byzantine Coins in the British Museum (IBC) les seules pièces similaires sont attribuées à Théodora et datées entre le 11 janvier 1055 et le 31 août 1056.

Dans la description de l’avers, le IBC (vol. 2, # 6 à 16, pp. 507-508) ajoute qu’il y a une auréole derrière la tête du Christ (qui forme une croix avec des points), qu’il porte une tunique et un manteau, que les Évangiles sont aussi décorés de points et qu’il y a une inscription: +EMMA NOVHL (translitération grecque de l’hébreux Emmanuel [עמנואל / Εμμανουήλ] qui signifit “Dieu [est] avec nous”) avec IC – XC dans le champs de part et d’autre. Ce Chrisme (ou Christogramme) est le même que l’on retrouve sur le revers et constitue un monogramme formé des première lettres grecques du nom du Christ (IC = ΙΗϹΟΥϹ / IESOYS / Jesus et XC = ΧΡΙϹΤΟϹ / KRISTOS / Christ). Sur le revers, il s’y ajoute le mot Nika pour former l’inscription “Jésus-Christ est victorieux”.

Étrangement, la plupart des sources sur l’internet (voir plus bas) semblent attribuer ce type de revers à Michel IV (ce qui est à peu près de la même époque que Theodora, en fait quelques années plus tôt, soit 1034-1041). Pourtant, les pièces de cette époque comportent surtout des avers montrant juste le torse du Christ (la moitié du corps) et des revers avec beaucoup plus de texte (du genre “IS-XS / BASILE / BASILE” ou “+INSYS / XRISTYS / BASILEY / BASILE”, ce qui veut dire à peu près “Jésus Christ Roi des rois” — voir IBC v.2, pl. LVIII pour exemples). Il y aurait-il eut de nouvelles découvertes depuis la parution du IBC au début du siècle dernier? C’est possible. Toutefois, le IBC mentionne que plusieurs de ces pièces sont refrappées (overstruck) sur des pièces plus anciennes, ce qui pourrait expliquer la confusion… Quoiqu’il en soit, il serait sans doute plus sage de considérer cette pièce comme anonyme…

Sources: Wikipedia, Google, IBC v.2: 6-16, FAC (Byzantine Coins of the Macedonian Dynasty), CoinArchives, CoinArchives, CoinArchives, acsearch, Numista, CoinTalk. Voir aussi ma fiche.

Ceci conclu cette sous-série de billets sur les femmes vue à travers mes monnaies romaines. Évidemment, la vie d’une impératrice devait être bien différente de la vie d’une femme ordinaire romaine. Comme la société romaine est de nature patriarcale, on s’attendrait à ce que la femme n’y ait aucun pouvoir. En effet, par la loi, elle est toujours dépendante soit de son père, soit de son époux, et son rôle est surtout de gérer le domaine familiale (l’entretient, l’approvisionnement, les esclaves, etc.), de tisser et d’avoir des enfants. Toutefois, la matrone romaine était tout de même assez libre. Elle pouvait témoigner devant un tribunal, recevoir un héritage, posséder et gérer une entreprise, divorcer, confier ses enfants à des nourrices et éducateurs, s’adonner à de nombreux loisirs (aller aux thermes, flâner sur le forum, participer à des débats, aller au théâtre, assister aux jeux du cirque ou à des courses de chars), etc. Et, si elle ne pouvait pas occuper de fonctions politiques ou militaires, elle pouvait exercer une grande influence et même participer à des conspirations! Rome avait même une journée consacré aux matrones, les Matronalia, qui était célébré au printemps (aux Calendes de mars [1er du mois], car c’est le mois de la fertilité). Ce serait d’ailleurs l’origine de la fête des mères (maintenant généralement fêté en mai). 

Sources: Wikipedia [FR / EN], Google, National Géographic, Revue des Deux Mondes.

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Monnaies anciennes 22

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