“Une décennie après le triomphe mondial de Suite française, roman miraculeusement réchappé de l’oubli, prix Renaudot 2004, Emmanuel Moynot s’empare du premier volet du diptyque, Tempête en juin. Sous sa plume acérée, le classique d’Irène Némirovsky trouve sa dimension visuelle. Comme dans un film de Renoir ou d’Altman, les personnages, les trajectoires, les destinées se heurtent et s’emmêlent sur les routes de l’Exode de juin 1940, traçant le portrait de ces heures noires où il a semblé que la donne sociale, morale, nationale se rebattait intégralement. Les figures inoubliables qui peuplent les pages de Némirovsky prennent corps. On retrouve comme si on les avait toujours connus le banquier Corbin, le gentil couple Michaud, la tribu des Péricand, l’infortuné abbé Philippe, la frivole Arlette Corail, le sinistre Corte et sa maîtresse écervelée, tous les autres, les perdants, les affreux, les purs et les morts de cette débâcle française. Et l’on découvre au passage que l’auteur de David Golder – dont on connait la passion pour la narration cinématographique – aurait fait une grande scénariste.”
[Texte du site de l’éditeur; voir aussi la couverture arrière]
(Attention, lire l’avertissement de possible divulgacheurs)
Suite à l’invasion de la Pologne, le Royaume-Unie et la France déclarent la guerre à l’Allemagne nazie le 3 septembre 1939 mais ce n’est que le 10 mai 1940, après ce qu’on a appelé une “drôle de guerre”, que les Allemands se lancent à la conquête de l’ouest en une “guerre-éclair”: ils traversent les Ardennes au Luxembourg et en Belgique, font une percée à Sedan, si rapidement que c’est la débâcle chez les alliés. Les Britanniques, acculés à Dunkerque, doivent évacuer dès le 26 mai. La bataille de France se transforme en une “étrange défaite” alors que les Allemands marchent dans Paris le 14 juin et que la France doit accepter un humiliant Armistice signé le 22 juin 1940. Sous le gouvernement de Pétain, puis celui de Laval (Régime de Vichy), la France est alors divisée par une ligne de démarcation entre une “Zone Occupée” au nord et une “Zone Libre” au sud. C’est dans ce contexte que se déroule le récit…
La nouvelle de la débâcle de Dunkerque et de l’approche allemande pousse de nombreux Parisiens à l’exode vers le sud afin de fuir les combats et l’inévitable occupation. Nous suivons ainsi une vingtaine de personages qui tentent de fuir Paris puis, pour la plupart, qui y reviennent lorsqu’ils apprennent que la ville a été épargnée de la destruction. Le récit trace un intéressant portrait de la société française de l’époque mais le fait de constamment alterner d’un groupe de personnages à l’autre rend le tout un peu confus. Toutefois, avec son style sombre mais réaliste — un dessin un peu brouillon et en tons de gris, très populaire ces temps-ci mais qui m’agace beaucoup — Moynot (surtout connu pour avoir reprit Nestor Burma après Tardi) fait un excellent travail pour illustrer les petits drames de chacun exacerbés par la guerre. C’est une intéressante bande-dessinée pour l’amateur d’histoire que je suis, avec un bon récit (mais sans plus). Toutefois, ce qui rend ce titre fascinant c’est l’oeuvre dans laquelle il s’inscrit.
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Irène Némirovsky est une émigrée Ukrainienne qui s’installe à Paris au début du siècle. Elle y entreprend une carrière littéraire (en publiant une quinzaine de courts romans dont David Golder est le plus connu). En juin 1940, comme beaucoup de français, elle fuit Paris avec son mari Michel Epstein et leur deux filles pour s’installler à Issy-l’Évêque (dans le Morvan) qui se retrouvera en territoire occupé après l’armistice. Elle continue d’écrire, débutant entre autre un projet de cinq romans s’inspirant de ce qu’elle a vécu et observé au cours de l’exode de juin et de l’occupation allemande. Elle termine la première partie, Tempête en juin (traitant de l’exode), en avril 1941. Puis la seconde partie, Dolce (racontant l’idylle d’une jeune française avec un officier allemand mélomane), est complétée en juin 1942. Elle planifie trois autres romans, Captivité, Batailles et La Paix, qui formeront son magnum opus et qui, pour l’instant, lui permettent pour le moins d’endurer le stress de l’occupation en se gardant l’esprit occupé. Elle n’aura cependant jamais l’occasion de terminer son oeuvre car elle est dénoncé comme juive puis arrêté le 13 juillet 1942. Elle est d’abord envoyé au camps de Pithiviers, puis elle prend le convoi no 6 pour Auschwitz-Birkenau le 17 juillet, où elle meurt du typhus le 19 août. Ce n’est que durant les années cinquante que le manuscrit des deux romans est redécouvert dans une malle par ses filles, Denise et Élisabeth. Après avoir donné les archives de leur mère à l’IMEC au début des années ’90, Élisabeth décide de retranscrire le manuscrit qui n’est publié qu’après de nombreuses tergiversations en 2004 sous le titre Suite Française. L’ouvrage connait une grand succès et est traduit dans de nombreuses langues. Il reçoit également le prix Renaudot.
Le roman reçoit de nombreuses adaptations: il inspire un Concerto de chambre d’Aulis Sallinen en 2005, puis la deuxième partie est adapté avec le film de Saul Dibb en 2014, la première partie est retranscrite en bande-dessinée par Emmanuel Moynot en 2015, puis le récit est joué au théâtre en 2018 et 2019. Le roman a également fortement inspiré l’excellente série télévisée de France 3 Un Village Français qui a été diffusé en sept saisons entre juin 2009 et novembre 2017. Je n’ai malheureusement pas lu le roman (je l’ai juste feuilleté en lisant des passages ici et là) mais tant l’adaptation BD que cinématographique semblent assez respectueuse. Ils peuvent donc servir de raccourcis pour prendre connaissance de l’oeuvre de Némirovsky.
Suite Française: Tempête en Juin, par Emmanuel Moynot (d’après le roman d’Irène Némirovsky; mise au gris de Chantal Quillec). Paris: Denoël (Coll. Denoël Graphic), janvier 2015. 224 pages, 16.0 x 23.0 cm, 23,50 € / $42.95, ISBN 978-2-207-11817-7. Pour lectorat adolescent (12+).
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© 2015 Éditions Denoël.
Suite française: France / UK / Belgique, 2015, 107 min.; Dir./Scr.: Saul Dibb; Phot.: Eduard Grau; Ed.: Chris Dickens; Mus.: Rael Jones; Cast.: Michelle Williams (Lucile), Matthias Schoenaerts (Bruno), Kristin Scott Thomas (Madame Angellier), Margot Robbie (Céline), Sam Riley (Benoît), Ruth Wilson (Madeleine), Tom Schilling (Kurt), Lambert Wilson (Vicomte de Montmort), Harriet Walter (Vicomtesse de Montmort), et Alexandra Maria Lara (Léa).
Ce film est basé sur le même roman qui a inspiré la série télé Un Village Français. Une jeune française établie une relation romantique avec un officier allemand qui occupe le village de Bessier. Il écrit une pièce musicale qu’il lui laisse lorsqu’il repart pour le front. C’est un très bon film avec d’excellent acteurs et une bonne cinématographie.
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Suite française, par Irène Némirovsky (préface de Myriam Anissimov). Paris: Gallimard (Coll. Folio #4346), mars 2006. 576 pages, 10.8 x 17.8 cm, 10,60 € / $19.95, ISBN 978-2-07-033676-0. Pour lectorat adolescent (12+).
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