“— Tu devrais essayer de voir plus grand !
— Oh, mais je vois très grand… Moi, mon rêve, c’est d’avaler la Terre entière…
— Ça ne t’intéresserait pas de rencontrer la plus belle femme du monde plutôt ?
— Les femmes, ça ne me dit rien…
— Elle s’appelle Zéphyrus et loge à l’hôtel Ômura. Tu vas te débrouiller pour faire sa connaissance… Pour ça, tu recevras trois cent mille yens à une condition toutefois : découvrir qui elle est en réalité.En 1968, Tezuka imagine une destruction concertée du monde, qui commencerait par l’argent et la morale.”
[Texte du site de l’éditeur et de la couverture arrière]
(Attention, lire l’avertissement de possible divulgacheurs)
Zephyrus, une belle femme, perd sa fortune et son père bien-aimé par les ruses de son ambitieux mari. Ses sept filles, qui se font appeler Zephyrus comme leur mère, promettent de se venger des hommes et des sociétés civilisées du monde entier qui ont causé la mort de leur mère et ruiné leur vie. Pour ce faire, elles inventent un peau synthétique, le dermoïde Z, qui permet à quiconque qui peut se la payer de prendre n’importe quelle apparence. D’abord utilisé à des fins esthétique, elle devient rapidement un instrument qui permet de réaliser des crimes en toute impunité. Zephyrus elles-même l’utilisent pour se donner une beauté qu’aucun homme (ou presque!) ne peut résister afin de les séduire, les contrôler et, ultimement, les punir. La deuxième phase de leur plan est d’inonder les marchés financiers avec des tonnes d’or qu’elles ont découvert sur une île du Pacifique ayant jadis appartenu à l’Empire de Mu. C’est alors le crash financier, l’or et les devises qui y sont liées étant dévalués jusqu’à ne plus rien valoir, et le monde moderne chavire dans l’avarice, la criminalité et la barbarie! Ce plan aurait été parfait si ce n’est de l’inégalable Seki Gohonmatsu qui demeure insensible au charme des femmes et qui n’aspire qu’à boire de l’alcool en si grande quantité qu’il pourrait en avaler la Terre entière. Cela lui donne courage et force, s’opposant à la conspiration des soeurs Zephyrus ne serait-ce que pour qu’elles le laisse en paix. Cependant, tant la soeur cadette, Milda, que leur mentor, miss Monte Christos, se trouvent ébranlées par l’innocence et l’intégrité de Gohonmatsu et en tombent amoureuses… La fin ne pourra être que tragique…
Avaler la Terre (地球を呑む / Chikyû wo Nomu) est un manga seinen par Osamu Tezuka qui a d’abord été publié en feuilletons dans le magazine Big Comic entre avril 1968 et juillet 1969 avant d’être compilé en deux volumes (tankobon) chez l’éditeur Shogakukan en mai et juin 1977. Il a connu une réédition en un volume (bunkoban) en septembre 1994, puis à nouveau en deux volumes en 2006. Il a été publié en français chez Milan en 2006 (deux volumes) puis en anglais chez Digital Manga en juin 2009 (un volume). Il également été réédité en français en un seul volume chez les Éditions FLBLB.
Osamu Tezuka, au Japon, est considéré comme le dieu du manga car il en a pratiquement inventé le genre. Bien sûr son style de dessin peut paraître vieillot et caricatural avec ses grands yeux et la simplicité de trait — après tout, au début de sa carrière, il s’est beaucoup inspiré des dessins animés des Studios Fleischer, comme Betty Boop, et surtout de Walt Disney. Et c’est sans doute pour cela que son oeuvre est souvent négligé en Occident. Il a pourtant toujours produit des récits qui, malgré ses personnages caricaturaux et l’humour presque “slapstick”, abordaient des sujets vraiment sérieux. Si l’on regarde au-delà du style, son oeuvre est très intéressante et a toujours un petit aspect moralisateur, voir pédagogique.
C’est le premier récit d’envergure que Tezuka destine à un public plus âgé (jeune adulte, masculin; i.e. “seinen”). Alors que le Japon connait une explosion de prospérité d’après-guerre, Tezuka fait une mise-en-garde en dépeignant avec beaucoup d’ironie une société devenue dépravée à cause des femmes scandaleuses, de l’argent et de la politique corrompue. Évidemment, certains concepts peuvent nous paraître dépassés ou même choquants. Tezuka est, après tout, un homme de son époque: le Japon était alors une société patriarcale où le rôle de la femme est reproductif et décoratif. L’image qu’il donne aussi de la ségrégation raciale aux État-Unis peut paraître exagérée (presqu’hilarant) mais c’est sa façon de la critiquer.
Le récit m’est apparu plutôt inégal au début mais Tezuka en explique la raison en post-face. La plupart des mangaka de l’époque publiaient des séries où chaque épisode constituait un récit indépendant mais Tezuka (à la demande de son éditeur) s’est distingué en présentant pour la première fois avec Avaler la Terre une histoire avec des épisodes à suivre. Inévitablement, comme le récit s’étire, les lecteurs perdent un peu intérêt et cessaient de suivre. Pour contrer cela, Tezuka à introduit quelques épisodes indépendants au milieu du récit.
Ce genre d’histoire me rappel étrangement la quatrième saison de la série télévisée Westworld… Que ce passerait-il si quelqu’un remplaçait un groupe de politicien ou en prenait le contrôle d’une façon ou d’une autre, comme pour orchestrer un coup d’état et un virage à droite rétrograde, voir autodestructeur? En fait cela a déjà été fait avec le série télé humoristique (hilarante et plutôt originale) BrainDead! Et l’on pourrait croire que ces derniers temps c’est aussi le cas avec l’aile trumpiste du parti républicain… Malgré tout c’est Tezuka qui reste le plus original puisqu’il a imaginé et publié ce manga à la toute fin des années soixante!
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Avaler la Terre nous présente un récit de vengeance, doublé d’un complot de fin du monde, qui offre de l’action et du suspens mais aussi beaucoup de sensualité et d’humour. C’est une série ambitieuse que Tezuka considère comme parmi ses oeuvre les plus importantes. Hélas! Ce genre de manga n’attire pas les foules — heureusement qu’il y a des éditeurs qui en reconnaissent l’importance historique et ont le courage d’en faire la traduction — donc un grand merci à FLBLB! Malgré la complexité du récit et le style caricatural, c’est un excellent manga, agréable et intéressant à lire. Une oeuvre de Tezuka mérite toujours d’être lue.
Avaler la terre (Intégrale), par Osamu Tezuka (Traduit du japonais par Jacques Lalloz et Patrick Honnoré). Poitiers: Éditions FLBLB, septembre 2021. 520 pages, 15,5 × 22 cm, 20€ / $36.95, ISBN 978-2-35761-307-2. Pour lectorat adolescent (14+).
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