Pièce canadienne moderne (2)
Post-confédération: One Cent
Pour ce qui est des pièces canadiennes modernes nous pourrions nous étendre sur le sujet pendant longtemps avec les pièces de un cent, de cinq cents, de dix cents, de vint-cinq cents, de cinquante cents et le dollars qui ont tous beaucoup varié de design et de portrait au cours des années. J’y reviendrais peut-être un jour mais pour cette fois je ne vais m’attarder que sur la pièce de un cent.
Comme je ne collectionne pas ces pièces pour leur valeur numismatique (nécessitant une qualité fleur de coin [Proof] ou pour le moins splendide [Mint / uncirculated]), mais bien pour leur intérêt historique, je me soucis peu de l’état de conservation dans lequel elles sont. L’état de mes pièces est donc assez variable mais, à part certaines des pièces plus anciennes, elles sont en général dans l’ordre du Très Beau (Fine) ou du Très Très Beau (Very Fine). En fait, pour moi, l’intérêt d’une pièce vient du fait qu’elle ait circulé, passant entre des milliers de mains et se trimbalant dans d’innombrables poches.
Une histoire de gros sous…
Après avoir été obligé d’utiliser des jetons pendant près d’une cinquantaine d’années — faute d’avoir assez de pièces de petites dénominations — la Province du Canada décide de frapper sa propre monnaie en 1858. Pour simplifier les choses (il faut le dire le système monétaire Britannique était plutôt compliqué) on adopte d’emblée la décimalisation. En s’inspirant de ce qu’a fait son voisin du sud, les États-Unis, la devise canadienne devient donc le “dollar” et sa plus petite dénomination (un centième de dollar) est le “cent” — qui remplace le “sou” du Bas-Canada. Comme le sou valait un demi-penny on a décidé de donner au cent le même format que ce dernier (en fait trois millimètres plus petit avec un diamètre de vingt-cinq millimètres). Anecdote amusante: comme le dollar vaut une couronne britannique (soit un quart de livre sterling ou cinq shilling ou soixante pence [le pluriel de penny]) une pièce de vingt-cinq cents vaut donc quinze pence (ou trente demi-penny) d’où le fait qu’on parle encore parfois de trente sous pour désigner le vingt-cinq cents! Comme les premières pièces d’un cent étaient beaucoup plus grosses que celle que nous utilisons de nos jours (et depuis 1920), elles sont appelées Gros Sous (Large Penny) pour les distinguer.
La Province du Canada n’est toutefois toujours pas en mesure de produire sa monnaie localement. La frappe est donc encore effectuée par la Royal Mint de Londres (sans marque de frappe) et l’atelier de la Heaton Mint à Birmingham (indiqué par un petit “H” sur le revers, sous la date). Comme la production est maintenant mécanisée on retrouve, contrairement aux pièces plus anciennes, une très grande uniformité dans la taille et le poids des pièces. Les seules éléments qui changent sont les portraits des monarques et leur titulatures, ainsi que de menu détails dans le dessin (la grosseur du feuillage, la forme de tel chiffre ou telle lettre, etc. — je ne m’attarderais pas sur ces derniers, sauf les plus significatifs, car ils sont trop nombreux. Ainsi le gros sou a connu au fil des ans cinq variations importantes dans son type.
Gros sou (Large penny)
1858 – 1859: VICTORIA
En 1858 et 1859, la Province du Canada frappe en très grande quantité un premier gros sou conçu par le graveur Leonard C. Wyon (G [Good], Ae [Bronze composé de 95% de Cu, 4% Sn et 1% Zn], 25 mm, 4.5 g, axe: ↑↑). L’avers présente une tête (jeune et idéalisée) de la reine Victoria, à gauche, portant une couronne de laurier, avec l’inscription latine (encadrée par deux cercles de pointillés) VICTORIA DEI GRATIA REGINA. (“Victoria, reine par la grâce de dieu, Canada”). Le revers illustre, encadré par deux cercles de pointillés, un motif serpentin de seize feuilles d’érable enroulées autour d’une vigne, avec une inscription centrale en anglais qui indique la valeur de la dénomination (One Cent) et la date (1859). Je ne possède malheureusement pas de spécimen de la pièce frappée en 1858.
L’émission massive de pièces de un cent (dix millions!) , alors que les jetons de cuivre circulaient encore abondamment, a fait que le marché a été rapidement saturé et qu’il a fallut près de dix ans pour tout écouler. C’est pourquoi il n’y a eut aucune pièces de un cent de produit entre 1859 et 1876. Aussi, à cette époque, les six colonies de l’Amérique du Nord Britannique (le Canada-Unis, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Ile-du-Prince-Edouard, la Colombie-Britannique et Terre-Neuve ) étaient en pleine négociation pour établir une éventuelle unification et l’on savait que si ce projet aboutissait il faudrait réorganiser les différentes émissions monétaires de chacune des colonies — une raison de plus pour suspendre la frappe. Une petite note historique: Cette union était rendue nécessaire par la menace américaine qui s’intensifia suite à la Guerre Civile, une demande pour une plus grande souveraineté et une économie de marché qui, divisé, peinait à faire face à la concurrence américaine. Après trois conférences de négociations à Charlottetown et Québec en 1864, puis à Londres en 1866, une entente est finalement signée et entérinée par la reine Victoria en 1867, sous la forme de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, qui dissout l’Acte d’Union pour former les provinces de l’Ontario et du Québec, en y adjoignant la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, pour constituer une nouvelle fédération (c’est une erreur de parler de confédération) sous le nom de Dominion du Canada — les autres provinces s’ajouteront plus tard: le Manitoba en 1870, la Colombie-Britannique en 1871, l’Île-du-Prince-Edouard en 1873, l’Alberta et la Saskatchewan en 1905 et finalement Terre-Neuve en 1949.
1876 – 1901: VICTORIA
Non seulement le Dominion du Canada continue d’utiliser les pièces frappé sous la Province du Canada, mais il en conserve le même type quand il commence à frapper ses propres pièces en 1876… à quelques différences près. La pièce est toujours produite en Angleterre dans le même format, avec le même titre métallique mais on accroit son poids d’environ un gramme (Ae [Bronze composé de 95% de Cu, 4% Sn et 1% Zn], 25 mm, 5.6 g, axe: ↑↑). L’avers présente maintenant un portrait plus mature et réaliste de la reine Victoria (visage plus rond), qui porte dorénavant une couronne de diadème, et la titulature reste la même. Le revers reste à peu près inchangé sinon que les feuilles d’érables sont d’abord un peu plus grosses (de 1883 à 1890) puis plus étroites avec des veinures plus profondes (de 1891 à 1901, redessinées par le graveur G. W. DeSaulles). Je pourrais illustrer ici chacune des années de production mais je vais me contenter de ces six exemples.
1902 – 1910: EDWARDVS VII
En janvier 1901, la reine Victoria décède et son fils Édouard VII lui succède. La pièce de un cent demeure la même mais l’avers est modifié (avec un dessin de G. W. DeSaulles) pour refléter le changement de monarque: il présente maintenant un buste d’Edouard VII, à droite, vêtu d’un manteau d’apparat et d’une couronne impériale, avec l’inscription latine EDWARDVS VII DEI GRATIA REX IMPERATOR – CANADA (“Edouard VII, par la grâce de dieu, roi et empereur – Canada”). Le revers reste inchangé. À partir de 1908, la frappe de monnaie sera finalement effectuée au Canada, avec la création de la Monnaie Royale Canadienne à Ottawa (mais les pièces ne comporte aucune marque de frappe pour les distinguer).
1911: GEORGIVS V (sans “DEI GRA”)
En mai 1910, Edouard VII décède à son tour et est succédé par son fils George V. On en profite cette fois pour mettre à jour l’avers avec le portrait et la titulature du nouveau monarque mais on modifie également le revers. L’avers présente un buste de George V, à gauche, vêtu d’un manteau d’apparat et d’une couronne impériale, avec l’inscription latine GEORGIVS V REX ET IND: IMP: (“George V, roi et empereur des Indes”) — sans doute pour faire place à un titulature plus longue qui souligne que l’Empire Britannique inclus maintenant les Indes on a omis le “Dei Gracia” (“Par la grâce de dieu”). L’illustration du revers reste la même mais l’inscription est changée pour ONE CENT CANADA — 1911 (le “Canada” est déplacé de l’avers au revers et un trait séparateur est ajouté dessous).
1912-1920: GEORGIVS V
Étrangement, l’absence du “Dei Gracia” souleva un tollé de protestations (on criait à la monnaie “sans dieu”). Ainsi, dès l’année suivante on corrigea la titulature qui devint GEORGIVS V DEI GRA: REX ET IND: IMP: (“George V, par la grâce de dieu, roi et empereur des Indes”). Encore plus mystérieux, j’ai trouvé dans ma collection un cent de 1917 d’une couleur argenté matte (similaire au nickel). Je n’ai toutefois trouvé aucune mention d’une telle production dans les sources numismatiques. Un petit rigolo se sera sans doute amusé en faisant des tests de placage au nickel sur un pièce… En 1920, on change également très légèrement le titrage métallique de la pièce d’un cent: la proportion de cuivre est augmenté à 95.5%, celle de l’étain diminuée à 3% et celle du zinc augmenté à 1.5%. Cela est sans doute motivé par un accroissement du coût de certains métaux et annonce la réduction imminente de la taille de la pièce d’un cent.
Petit sou (Small penny)
1920 – 1936: GEORGIVS V
En 1920, même si une grande pièce d’un cent à déjà été produite (quoique en moindre quantité), on frappe une nouvelle pièce mais cette fois plus petite (Ae [Bronze composé de 95.5% de Cu, 3% Sn et 1.5% Zn], 19 mm, 3 g, axe: ↑↑). C’est un changement radical qui a été motivé par l’augmentation du coût des métaux et la nécessité de faire des économie (la pièce ne peut pas coûter plus cher à produire que sa valeur). On en profite également pour ramener le cent canadien aux même proportions que le cent américains. Autre grand changement: on élimine la bordure de pointillé. L’avers reste le même (conception par Sir E.B. MacKennal, seulement en plus petit) mais le revers est complètement redessiné par Fred Lewis et le graveur W.H.J. Blakemore. Il présente maintenant un large CANADA dans le haut, un ONE CENT encadré verticalement par deux séparateur (-•-) et horizontalement par deux feuilles d’érables, avec l’année d’émission dans le bas (ici: 1920). Ce sera la première des très nombreuses variations (plus d’une douzaine!) que connaitra l’apparence du petit cent.
En janvier 1936, George V décède et est succédé par son fils Édouard VIII. Toutefois, en décembre de la même année, avant même qu’on frappe la monnaie canadienne à son effigie, celui-ci abdique (suite à un scandal) en faveur de son frère George VI. En 1937, en attendant que les coins de frappe soit prêt avec l’effigie du nouveau monarque, on frappa une petite quantité de pièces de 1936 mais en ajoutant un petit point sous la date pour distinguer cette émission exceptionnelle. C’est la seule petite pièce de un cent que je n’ai pas car elle extrêmement rare.
1937 – 1947: GEORGIVS VI
Après l’accession de George VI, pour accélérer la production des nouveaux coins de frappe, l’atelier monétaire de Paris est mis à contribution (Ae [Bronze composé de 95.5% de Cu, 3% Sn et 1.5% Zn], 19 mm, 3 g, axe: ↑↑). L’avers du cent est modifié (portrait et titulature, sur un dessin de T.H. Paget — qui signe d’un petit “HP” dessous la tête) pour refléter le nouveau monarque et on en profite pour finir de moderniser le revers en lui donnant ce qui sera son apparence définitive (dessin et gravure de G.E. Kruger-Gray — signature d’un petit “K•G” dans le champs droit). Et la bordure en pointillé est de retour! L’avers présente une tête nue (sans couronne) de George VI, à gauche, avec l’inscription latine GEORGIVS VI D:G:REX ET IND:IMP: (“George VI, par la grâce de dieu, roi et empereur des Indes”). Le revers illustre maintenant une brindille de deux grandes feuilles d’érable (représentant sans doute les deux peuples fondateurs du pays: les français et les anglais — à cette époque on négligeait encore les autochtones), avec l’inscription en haut 1 CENT (le fait de mettre la valeur en chiffre règle la question du bilinguisme), la date d’émission (ici: 1939) dans le champs gauche et Canada dans le bas. En 1942, on change encore le titrage métallique en diminuant la proportion d’étain à 0.5% et augmentant celle du cuivre à 98%.
Toutefois, en 1947 un nouveau problème se pose aux monnayeurs canadiens: l’Inde a acquise son indépendance et le monarque n’est donc plus l’empereur des Indes! En attendant que de nouveaux coins de frappe soit produit pour 1948, on frappe une pièce de 1947 mais cette fois avec une petite feuille d’érable à la droite de la date. Cette pièce n’est pas rare car elle a été frappé à un peu plus de quarante millions d’exemplaires (j’en ai donc un spécimen, non illustré).
1948 – 1952: GEORGIVS VI (sans le “ET IND IMP”)
Dès que les coins sont prêts on frappe les pièces pour 1948 (Ae [Bronze composé de 98% de Cu, 0.5% Sn et 1.5% Zn], 19 mm, 3 g, axe: ↑↑). Le portrait de l’avers reste le même mais la titulature est maintenant GEORGIVS VI DEI GRATIA REX (“George VI, roi par la grâce de dieu”). Le revers reste inchangé.
1953 – 1964: ELIZABETH II
George VI décède en février 1952 et sa fille Élisabeth II lui succède. L’avers est donc modifié pour refléter ce changement (Ae [Bronze composé de 98% de Cu, 0.5% Sn et 1.5% Zn], 19 mm, 3 g, axe: ↑↑). L’avers présente maintenant un buste lauré d’Élisabeth II (jeune) à droite avec l’inscription latine ELIZABETH II DEI GRATIA REGINA (“Élisabeth II, reine par la grâce de dieu”). L’avers est conçu et gravé par Mary Gillick (avec une légère correction en 1954 par Thomas Shingles). Le reverse reste inchangé.
1965 – 1978: ELIZABETH II
En 1965 débute la première d’une dizaine de variations de types de la pièce d’un cent d’Élisabeth II (pour ne pas prolonger trop cet article je n’illustrerai pas toutes ces variations). Si le revers reste inchangé (à part les pièces commémoratives du centenaire de la “Confédération” en 1967, qui représente un pigeon biset en plein vol, celle du 125e anniversaire du Canada en 1992, où la date est changée pour “1867-1992”, et celle du Jubilé d’Or en 2002 où la date passe du revers à l’avers et devient “1952-2002”) l’avers lui ne cesse de changer pour ajuster le portrait ou la titulature du monarque. L’avers introduit en 1965 (illustré ici; conçu par Arnold Machin et Thomas Shingles) présente un portrait plus mature de la reine avec une tiare de diamants sur la tête, et l’inscription latine ELIZABETH II D• G• REGINA (“Élisabeth II, reine par la grâce de dieu”). Il est a noter que la Monnaie Royale Canadienne ouvre un deuxième atelier à Winnipeg en 1976, où s’effectuera dorénavant la frappe des pièces de circulations. En 1979-1981, le portrait de la reine a été légèrement rapetissé et l’épaisseur de la pièce passe de 1.55 mm à 1.38 mm pour réduire le poids à 2.8 g. En 1982-1989, la pièce, qui jusque là était ronde, prends la forme d’un dodécagone pour faciliter son identification par les personnes malvoyantes (l’épaisseur passe à 1.45 mm et un poids de 2.5 g). En 1990-1996, le portrait de la reine change à nouveau pour le doter d’un collier et d’une couronne de diamants décorée de roses, de trèfles et de chardons (conçu par Dora de Pedry-Hunt et Ago Aarand). En 1997-2003, on revient à une pièce ronde et on abandonne le flan de bronze pour un flan de zinc plaqué de cuivre. En 2003-2012, le portrait est encore changé pour un buste représentant une reine plus âgée, portant un collier mais aucune couronne (conception par Susanna Blunt et Susan Taylor). De 2006 à 2009 on continue à utiliser des flans de zinc plaqués de cuivre (marqué d’un “P” sous le portrait) mais on utilise également (et exclusivement par la suite, marqué du logo de la Monnaie Royale Canadienne sous le portait) des flans d’acier (dit “magnétiques”) plaqués d’une couche de nickel, puis d’une couche de cuivre (portant la composition à 94% d’acier, 4.5% de cuivre et 1.5% de nickel, l’épaisseur reste à 1.45 mm mais le poids passe à 2.35 g). Toutefois, à l’automne 2012, la production du cent canadien cesse et la pièce est peu à peu retirée de la circulation. C’est la fin de la saga du cent canadien…
[ Translate ]Sources: Wikipedia (Dollar canadien [FR/EN]), Google, Coins And Canada, Coin-Brothers, CoinsCatalog, numista, Saskatoon Coin Club: One Cent Obverse & One Cent Reverse. (Pas de fiches pour cette fois).
Bibliographie:
Cross, W.K. A Charlton Standard Catalogue: Canadian Coins, vol. 1: Numismatic Issues (69th Edition). Toronto: The Charlton Press, 2015. 356 pages.
La semaine prochaine je vous présente très brièvement les autres dénominations canadiennes (en m’en tenant au spécimen les plus anciens) et, par curiosité, un cent de Terre-Neuve.