Le Voyage de Shuna

VoyageDeShuna-cov“Shuna, prince d’une contrée pauvre, regarde, impuissant, ses sujets souffrir de la faim et se tuer à la tâche. Comment faire pousser les céréales que leur terre, stérile, leur refuse ? Un beau jour, un voyageur évoque une graine dorée miraculeuse, qui fait onduler les plaines en longues vagues fertiles. Elle proviendrait d’un pays lointain, à l’ouest, peuplé d’esprits hostiles à l’homme – dont nul n’est jamais revenu.

En dépit des soupirs des anciens et des larmes de son père, Shuna se lance vers cet Eldorado sur son fidèle yakkuru, dans l’espoir d’y trouver de quoi sauver son peuple. En chemin, il libère une jeune esclave, Thea, et sa petite sœur, retenues prisonnières par des trafiquants d’hommes. Poursuivi par leurs ennemis, Shuna confie les deux filles à son yakkuru, qui file avec elles vers le Nord tandis qu’il continue seul, à pied, vers l’ouest. Quand il atteint enfin la terre des êtres divins, ce qu’il y voit le changera à jamais.

Thea reverra-t-elle Shuna ? Et le jeune prince au cœur d’or ramènera-t-il la précieuse céréale ?”

[Texte du site de l’éditeur et de la couverture arrière]

(Attention, lire l’avertissement de possibles divulgacheurs)

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P. 13

Le Voyage de Shuna (シュナの旅 / Shuna no Tabi) est un manga shōnen par Hayao Miyazaki qui est d’abord paru en feuilleton dans le magazine Animage en 1982 avant d’être publié en un seul volume dans un petit format (Bunko) de la collection AM Juju chez Tokuma Shoten en juin 1983. Il est surprenant qu’il soit resté inédit hors Japon pendant quarante ans avant d’être publié en anglais chez First Second en 2022 et en français chez Sarbacane en 2023.  Il ne s’agit pas d’un manga à proprement parler, mais plutôt d’un conte, une histoire illustrée (emonogatari) composée de larges panneaux à l’aquarelle appuyés par un texte narratif très concis. Le récit est inspiré d’un conte folklorique tibétain (Zhi Jia, Jianbing Sun) dont le titre japonais est 犬になった王子, チペットの民話 (Inu ni natta ōji, chipetto no minwa / “Le prince qui s’est transformé en chien, un conte populaire tibétain”), mais dont le titre original serait 「青稞(チンコウ)種子的来歴」 (“Histoire des graines de Chinkou”). Toutefois, la genèse du Voyage de Shuna a grandement été marquée par deux productions sur lesquelles Miyazaki travaillait à la même époque: le récit est influencé par le Cycle de Terremer d’Ursula K. Le Guin (mais Miyazaki n’en obtiendra les droits qu’une vingtaine d’années plus tard et le film Gedo senki sera réalisé par son fils Gorō) alors que l’aspect visuel offre beaucoup d’éléments communs au monde de Nausicaä de la Vallée du Vent (dont le manga paraîtra dans Animage entre février 1982 et mars 1994, avec une adaptation animée sortie en mars 1984).

Prince d’une vallée venteuse et froide dont le sol stérile ne fournit qu’une maigre moisson d’Hiwabé suffisant à peine pour que le peuple survive pauvrement, Shuna fait un jour la rencontre d’un homme qui lui parle, avant de mourir, d’une contrée lointaine, à l’ouest, où pousse une céréale qui donne de grosses graines dorées (sans doute de l’orge). Curieux, il enfourche son yakkuru et s’élance en quête de cette contrée fertile. Il rencontre d’abord un désert corrompu, puis une tribu cannibale, des villages abandonnés avant de parvenir à une large ville fortifiée où le principal commerce semble être le trafic d’esclaves. Les étals de marchands offrent également une grande quantité de graines dorées, mais elles ont été écossées et ne peuvent donc pas servir à faire des semis. Après avoir sauvé de la captivité deux jeunes esclaves, Thea et sa sœur, il fuit à l’ouest jusqu’à ce qu’il rencontre le territoire des Êtres Divins. Les deux jeunes filles décident alors de chercher refuge vers le nord alors que Shuna s’enfonce dans l’inconnu. Il réussira à voler une poignée de graines fertiles, mais au terrible prix de sa raison. Thea le retrouve errant, en loques, muet, l’esprit vidé. Elle le soigne pendant une année et tente de faire pousser les graines pour les démultiplier. Il finit par redevenir lui-même et, ayant obtenue une bonne récolte de graines, par prendre le chemin de sa vallée natale.

Malgré les ressemblances avec certains autres ouvrages de Miyazaki, l’allégorie prométhéenne qu’il nous propose ici est essentiellement sociopolitique. Il ne faut pas oublier que Miyazaki a été communiste et il décrie/t donc dans ce récit l’exploitation de la masse ouvrière qui, dénaturée et réduite à une forme d’esclave, se tue à la tâche en échange d’une nourriture stérile. Ainsi Shuna libère Thea de l’esclavage et redonne à son peuple sa liberté et son indépendance alimentaire. Ses autres récits similaires, comme Nausicäa ou Princesse Mononoke, ont une connotation moins politique et beaucoup plus écologique. Malgré cette allégorie qui imprègne le récit, cela reste un beau conte qui est très intéressant et agréable à lire. Toutefois, ce qui donne toute son excellence à l’ouvrage est sans aucun doute les sublimes illustrations à l’aquarelle de Miyazaki qui sont souvent pleine page ou même double page. Juste pour cela, c’est un ouvrage qu’il faut absolument lire et chérir. C’est tellement beau que j’ai lu tant la version anglaise que française. stars-5-0

Le Voyage de Shuna, par Hayao Miyazaki (traduction par Léopold Dahan). Paris: Sarbacane, novembre 2023. 160 pages, 16 × 22,7 cm, 25 € / $48.95 Can, ISBN 9791040804444. Pour un lectorat jeune (7+).

Shuna’s Journey, by Hayao Miyazaki (translation by Alex Dudok de Wit). New York: First Second (imprint of Roaring Brook Press / Holtzbrinck Publishing), November 2022. 160 pages, 16.25 x 22.25 cm, $27.99 US / $36.99 Can, ISBN 978-1-250-84652-5. For a readership of all age (7+).

Vous trouverez plus d’information sur les sites suivants:

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© 1983 Studio Ghibli. All right reserved. © 2023 Éditions Sarbacane pour l’édition française. ©2022 by Alex Dudok de Wit for the English translation.

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