Lectures romaines (3): Polybe

Lectures romaines (3)

Pour accompagner ma série d’articles sur la littérature romaine, je vais m’efforcer de lire la plupart (du moins un extrait) des titres d’auteurs romains que j’ai dans ma bibliothèque.

Polybe

Les Historíai ( Ἱστορίαι / Histoires ) de Polybe (Πολύϐιος) chroniquent principalement les conquêtes méditerranéennes de la République romaine. Seules les cinq premiers livres nous ont été conservés dans leur intégralité, mais il existe de nombreux extraits de l’ensemble des quarante livres. Écrit entre 167 et 146+ AEC, l’ouvrage débute (livres I-II) avec la première expédition des Romains hors de l’Italie qui mena à la première guerre punique, ainsi que la première guerre d’Illyrie et l’histoire de la Ligue achéenne, puis se poursuit (livres III-V) avec la deuxième guerre punique, les guerres de Macédoine et la guerre séleucide. Après avoir discuté le constitution romaine (livre VI), sa méthodologie historique (livre XII), la géographie de la Méditerranée (livre XXXIV), il reprends certains événements plus en détails, année par année, et poursuit avec la suite des guerres puniques et Macédonniennes, pour conclure avec un livre récapitulatif (XL). Faute d’en avoir un exemplaire dans ma bibliothèque, je l’ai lu en ligne.

Si Polybe prône une méthodologie rigoureuse, basée sur les faits et l’analyse, son ouvrage m’apparait pauvre en détails et ne faire qu’une synthèse des événements. Il reste malgré tout une source inestimable sur l’histoire de la République. Malgré l’aridité du sujet, la prose de Polybe reste agréable à lire.

Livre I, Préface : “(…) quoi de plus propre à notre instruction que la connaissance des choses passées ? (…) la nouveauté des faits que je me propose de raconter sera plus que suffisante pour attirer tous les hommes, sans distinction, à la lecture de mon ouvrage. Il n’y en aura point de si stupide et de si grossier, qui ne soit bien aise de savoir par quels moyens et par quelle sorte de gouvernement il a pu se faire que les Romains, en moins de cinquante-trois ans, soient devenus maîtres de presque toute la terre. Cet événement est sans exemple. D’un autre côté, quelle est la passion si forte pour les spectacles, ou pour quelque sorte de science que ce soit, qui ne cède à celle de s’instruire de choses si curieuses et si intéressantes.”

Livre III, Chap. I : “(…) Il faut maintenant rapporter ces guerres, et rendre compte tant des raisons pourquoi elles ont été entreprises, que de celles pour lesquelles elles sont devenues si considérables. Mais auparavant disons un mot sur le dessein de cet ouvrage.”

“Dans tout ce que nous avons entrepris de raconter, notre unique but a été de faire voir comment, en quel temps et pourquoi toutes les parties de la terre connues ont été réduites sous l’obéissance des Romains ; événement dont le commencement est connu, le temps déterminé, et le succès avoué et reconnu de tout le monde. Pour parvenir à ce but, il est bon de faire mention en peu de mots des choses principales qui se sont passées entre le commencement et la fin ; rien n’est plus capable de donner une juste idée de toute l’entreprise ; car, comme la connaissance du tout sert beaucoup pour acquérir celle des choses particulières, et que réciproquement la connaissance des choses particulières aide beaucoup à connaître le tout, nous ne pouvions mieux faire, à mon sens, que d’instruire le lecteur de ces deux manières.”

Livre III, Chap. IX : “(…) Ce fut en passant ces montagnes qu’Annibal, venant des bords du Rhône, entra dans l’Italie. Quelques historiens, pour vouloir étonner leurs lecteurs par des choses prodigieuses, en nous parlant de ces montagnes, tombent, sans y penser, dans deux défauts qui sont très-contraires à l’histoire ; ils content de pures fables, et se contredisent. (…) Ils nous peignent les Alpes comme si raides et si escarpées (…), les pays d’alentour sont si déserts, que si un dieu ou demi-dieu n’était venu montrer le chemin à Annibal, sa perte et celle de toute son armée était inévitable. (…) c’est une fausseté manifeste. Avant qu’Annibal en approchât, les Gaulois habitant les rives du Rhône avaient passé plus d’une fois ces montagnes, et venaient tout récemment de les passer pour se joindre aux Gaulois des environs du contre les Romains. Et de plus les Alpes même ne sont-elles pas habitées par un peuple très-nombreux ? (…) Annibal conduisit cette grande affaire avec beaucoup de prudence. Il s’était informé exactement de la nature et de la situation des lieux où il s’était proposé d’aller ; il savait que les peuples où il devait passer n’attendaient que l’occasion de se révolter contre les Romains ; enfin, pour n’avoir rien à craindre de la difficulté des chemins, il s’y faisait conduire par des gens du pays, qui s’offraient d’autant plus volontiers pour guides, qu’ils avaient les mêmes intérêts et les mêmes espérances. Je parle avec assurance de toutes ces choses, parce que je les ai apprises de témoins contemporains, et que je suis allé moi-même dans les Alpes pour en prendre une exacte connaissance.”

Livre VIII, Frag. III : “(…) Tout étant préparé, les Romains se disposaient à attaquer les tours [de Syracuse]; mais Archimède avait aussi de son côté construit des machines propres à lancer des traits à quelque distance que ce fût. Les ennemis étaient encore loin de la ville, qu’avec des balistes et des catapultes plus grandes et plus fortement bandées, il les perçait de tant de traits qu’ils ne savaient comment les éviter. Quand les traits passaient au-delà, il en avait de plus petites proportionnées à la distance, ce qui jetait une si grande confusion parmi les Romains, qu’ils ne pouvaient rien entreprendre (…). Archimède inventa un autre stratagème contre ceux qui combattaient de dessus leurs vaisseaux. Il fit percer à hauteur d’homme et dans la muraille des trous nombreux et de la largeur de la main. Derrière ces meurtrières il avait posté des archers et des arbalétriers qui, tirant sans cesse sur la flotte, rendaient inutiles tous les efforts des soldats romains. (…) Il y avait encore d’autres machines qui lançaient sur les ennemis (…) des pierres d’une grosseur suffisante pour faire quitter la proue des navires à ceux qui y combattaient. Outre cela, il faisait tomber une main de fer attachée à une chaîne, avec laquelle celui qui dirigeait le bec de la machine comme le gouvernail d’un navire, ayant saisi la proue d’un vaisseau, (…) il lâchait la chaîne par le moyen d’un moulinet ou d’une poulie. Il arrivait nécessairement alors que les vaisseaux ou bien tombaient sur le côté, ou bien étaient entièrement culbutés ; et, la plupart du temps, la proue retombant de très-haut dans la mer, ils étaient submergés, au grand effroi de ceux qu’ils portaient. (…) pendant huit mois qu’ils restèrent devant la ville, il n’y eut sorte de stratagème que l’on n’inventât, ni d’actions de valeur que l’on ne fît, à l’assaut près, que l’on n’osa jamais tenter : tant un seul homme a de force lorsqu’il sait employer son génie à la réussite d’une entreprise ! (…) L’unique ressource que les Romains crurent qu’il leur restait, fut de réduire par la faim le peuple nombreux qui était dans la ville. Pour cela, avec l’armée navale, on intercepta tous les vivres qui pouvaient leur venir par mer, et l’autre armée coupa tous les convois qui leur venaient par terre.”

Livre IX, Frag. I : “Je sens bien que ma manière d’écrire l’histoire a quelque chose de désagréable (…). comme nous nous sommes borné au récit de cette dernière classe de faits, et que nous en avons fait tout le sujet de notre ouvrage, il ne peut être du goût que des lecteurs érudits ; la plupart des autres n’y trouveront aucun attrait. Nous avons dit ailleurs, pourquoi, négligeant les autres parties de l’histoire, nous nous étions borné aux faits (…). C’est pour cette raison et beaucoup d’autres, que je n’ai pas jugé à propos d’entrer dans ces détails. J’ai préféré les faits pour deux raisons : la première, parce que, comme les faits sont toujours nouveaux, la narration est toujours nouvelle (…). L’autre raison, c’est parce que cette manière d’écrire l’histoire (…) est surtout de nos jours, la plus utile de toutes. En effet, nous sommes dans un siècle où les sciences et les arts ont fait de si grands progrès, que ceux qui les aiment, en quelque circonstance qu’ils se trouvent, peuvent en tirer des règles de conduite. C’est pourquoi, songeant moins au plaisir qu’à l’utilité des lecteurs, nous n’avons rien voulu mettre dans notre histoire que des faits. Si j’ai bien ou mal fait, j’en laisse le jugement à ceux qui la liront avec attention.”

Pour plus de détails sur Polybe (Πολύϐιος), voir l’entrée “Littérature pré-républicaine: 3. IIe siècle AEC

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