Lectures romaines (4)
Pour accompagner ma série d’articles sur la littérature romaine, je vais m’efforcer de lire la plupart (du moins un extrait) des titres d’auteurs romains que j’ai dans ma bibliothèque.
Varron
Le De re rustica ou Rerum rusticarum libri III (De l’économie rurale) de Varron est le seul de ses ouvrages a avoir été conservé en entier. Composé de trois livres, il a été écrit vers 37 AEC. C’est un ouvrage très similaire au De agri cultura de Caton l’Ancien puisque c’est aussi un traité sur la gestion d’un domaine agricole (latifundium), mais qui concerne cette fois plutôt les grands domaines qui “emploient” de nombreux esclaves. Comme Caton, il parle d’expérience, car il possède au moins trois grandes fermes à Cumes, à Tusculum et à Casinum (cette dernière étant dédiée à l’élevage d’oiseaux luxueux). Il y produit, entre autres, des figues, du miel et fait l’élevage de moutons.
Le premier livre, dédié à son épouse Fundania, est consacré à la culture de la terre (frumentaire et arbustive) : définition de l’agriculture, le lieu, la qualité de la terre, les bâtiments, le personnel et l’équipement, les animaux (âne ou boeuf de labour, chien de garde), les semences, la division du travail selon la saison, engrais, moisson, etc.
Le second livre, dédié à Turranius Niger, est consacré à l’élevage de bestiaux : exode rural et différences entre cultivateur et pâtre, domestication des espèces sauvages, les différents types d’élevages (moutons, chèvres, porcs, boeufs, ânes, chevaux, mulets et bardots, chiens), le personnel (pâtre, berger) et les produits dérivés (lait, fromage, laine).
La troisième livre, dédié à Q. Pinnius, est consacré aux animaux de basse-cour : les composantes (volière d’agrément ou de production, garenne ou parc, et vivier), volailles (grive, merle, caille, paon, pigeon, tourterelle, poule, oie, canard), parcs de gibier (lièvre, sanglier, escargot, loir) et viviers (apiculture et pisciculture).
L’ouvrage, écrit dans le but de faire connaitre et aimer la vie rustique en démontrant comment en tirer de bons bénéfices, est présenté sous la forme de dialogues entrecoupés de digressions et d’anecdotes. Le style est très verbeux, quoi que soigné, mais l’auteur semble attacher peu d’importance à la forme et plus au sujet technique. Cela se lit toutefois très bien. Faute d’en avoir un exemplaire dans ma bibliothèque, je l’ai lu en ligne.
I.XVII: “(…) à propos de ces manœuvres. Choisissez des sujets propres à la fatigue, au-dessus de vingt-deux ans, et qui montrent des dispositions pour l’agriculture. On juge de leur aptitude par des travaux d’essai, ou en les questionnant sur ce qu’ils faisaient chez leur précédent maître. Prenez pour les diriger des esclaves qui ne soient ni insolents, ni timides; qui aient une teinture d’instruction, de bonnes manières, de la probité, et qui soient plus âgés que ceux qu’ils surveillent: ils en seront mieux écoutés. (…) Il ne faut pas permettre au chef d’employer les coups pour se faire obéir, quand il peut arriver au même but par de simples remontrances. Évitez également d’avoir plusieurs esclaves de la même nation; car c’est une source continuelle de querelles domestiques. Il est bon de stimuler, par des récompenses, le zèle des chefs; de leur former un pécule, de leur faire prendre des femmes parmi leurs compagnes de servitude. Les enfants qui naissent de ces unions attachent les pères au sol (…).”
I.XVIII: “Pour limiter le personnel d’une exploitation rurale, Caton prend pour base l’étendue et le genre de culture. (…) La première suppose un plant d’oliviers de deux cent quarante jugera, et il porte à treize le nombre des esclaves; à savoir, un villicus [intendant] et sa femme, cinq ouvriers, trois bouviers, un ânier, un porcher, un berger.”
II.I: “(…) Comme de nos jours il n’est guère de chefs de famille qui, laissant là faux et charrue, n’ait émigré dans l’enceinte de Rome, et ne consacre à applaudir au cirque et au théâtre les mains jadis occupées aux champs et aux vignobles, il en résulte qu’aujourd’hui nous payons pour qu’on nous apporte d’Afrique et de Sardaigne le blé qui nous nourrit, et que nous allons par mer faire vendange à Cos et à Chio. Les fondateurs de cette ville, qui n’étaient eux que des pâtres, avaient voulu que leurs descendants fussent des cultivateurs; et, au mépris de leurs lois, l’ambition de leurs descendants a converti les champs en prairie, sans même faire de différence entre paître des troupeaux et labourer la terre.”
III.XII : “(…) ces parcs annexés de nos villas, qu’on appelle encore leporaria (…). Aujourd’hui il ne s’agit plus d’un arpent ou deux, où l’on réunit quelques lièvres, mais de vastes espaces, de forêts entières, où l’on renferme par bandes les cerfs et les chevreuils. (…) Dans ces enclos sont en outre des enceintes particulières réservées aux escargots et aux abeilles, et des tonneaux où on élève des loirs. Rien de plus facile que la garde, l’entretien et la multiplication de ces animaux, les abeilles exceptées. Tout le monde sait en effet qu’un parc doit être environné de murailles bien crépies, pour empêcher les chats, les fouines, etc., d’y pénétrer, et assez élevées pour que les loups ne puissent les franchir. On sait qu’il faut également qu’un parc abonde en gîtes où les lièvres puissent se rendre invisibles pendant le jour, et se tapir dans les broussailles et sous les herbes; et que les arbres y doivent former une voûte assez épaisse pour empêcher l’aigle de s’y abattre. Personne enfin n’ignore qu’il suffit de quelques lièvres et hases pour que ce gibier pullule aussitôt. Deux couples vont peupler tout un parc.”
Pour plus de détails sur Varron (Marcus Terentius Varro), voir l’entrée “Littérature classique (1er s. AEC): 1. Sous la République. a) L’Avant-Cicéron”.
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