Sur l’arrêté ministériel 2024-15

J’aimerais faire quelques commentaires sur l’ “Arrêté numéro 2024-15 de la ministre des Transports et de la Mobilité durable en date du 26 juillet 2024” concernant l’interdiction d’accès aux chemins publics de “certains véhicules motorisés qui ont l’apparence d’une motocyclette” (munis d’appui-pieds ou d’une plateforme, roues semi-pleines qui n’ont pas de rayons à broches, carrosserie, vitesse supérieure à 32 km/h ou moteur de plus de 500 watts, non immatriculé), car ils constituent “un risque pour la sécurité des personnes ou des biens”. 

Je trouve que cet arrêté ministériel est tout à fait absurde, car il ne s’attaque pas au véritable problème de la sécurité routière et il est beaucoup trop imprécis.

Il ne fait aucun sens de publier un arrêté ministériel sans avoir préalablement fait des études ou de la consultation avec les milieux concernés. On lance simplement un arrêté et l’on attend de voir la réaction. Ce n’est pas une façon de règlementer ou de gouverner. Cet arrêté semble simplement répondre aux inquiétudes d’une partie de la population quant à la sécurité des pistes cyclables sans avoir cherché à approfondir sur le sujet. Il n’est donc que le résultat d’une réaction populiste.

L’arrêté ne donne qu’une description très vague de ces “véhicules motorisés qui ont l’apparence d’une motocyclette”.  Il ne précise nulle part ce qu’est “la marque nationale de sécurité ou l’étiquette de conformité”, quelle en est son apparence et où la trouve-t-on. Le site du ministère des Transports ou de la SAAQ devrait offrir des descriptions plus précises, une liste de types de véhicules interdits, avec des exemples, ou tout au moins offrir un processus (à la SAAQ ou dans un poste de police de quartier) pour faire vérifier si notre véhicule est conforme aux normes de sécurité ou le faire homologuer. Au contraire, l’arrêté n’offre aucune ligne directrice précise.

L’arrêté n’est d’ailleurs pas très efficace puisque, jusqu’à maintenant, je n’ai pas entendu parler de personnes ayant reçu des contraventions ou ayant eu leur véhicule saisi et cela malgré un article de La Presse (daté du 2 août 2024) titrant “Le SPVM assure qu’il appliquera le règlement” où le SPVM affirme qu’il “appliquera sans délai le règlement interdisant les scooters électriques non immatriculés et imposera des amendes au besoin”. Je continue pourtant à voir sur la route autant de ces scooters électriques qu’avant.

Dans les articles que j’ai lus dans les médias, les gens semblent surtout se plaindre que les scooters électriques sont dangereux sur les pistes cyclables parce qu’ils sont beaucoup plus lourds que les bicyclettes. Or, l’arrêté ministériel ne fait aucune mention du critère de poids. Cela serait pourtant un facteur intéressant pour classer les véhicules par catégories. À quel niveau un véhicule motorisé est-il considéré comme trop lourd pour circuler sur une piste cyclable ? Un vélo standard pèse entre 7 et 15 kg. Une bicyclette électrique standard (incluant le Bixi électrique) pèse entre 25 et 35 kg. Un scooter électrique pèse environ 80 kg et une motocyclette électrique pèse environ 120 kg. Où mettre la limite ? L’arrêté ne mentionne rien à ce sujet. Rien non plus sur quels véhicules a le droit de circuler sur les pistes cyclables. Doit-on permettre les tri- et quadriporteurs ? Les skateboards (électriques ou non) ? Les trottinettes (électriques ou non) ? Les unis-roues ? Ces véhicules sont beaucoup plus lents que les bicyclettes et peuvent donc constituer un danger pour les cyclistes. Pourquoi l’arrêté cible-t-il uniquement les scooters ?

En ciblant largement les scooters électriques, l’arrêté pénalise collectivement un groupe de personnes qui utilisent ces véhicules pour d’excellentes raisons, fort louables: ils ne peuvent pas se permettre un véhicule plus dispendieux et n’ont pas de permis de conduire (l’usager typique étant étudiant ou livreur de restaurant), par soucis pour l’environnement ils choisissent un véhicule électrique afin de contribuer à réduire le nombre de voitures sur les routes et ainsi polluer moins que le ferait un véhicule à essence. Étrangement, les scooters à essence (dont les moteurs à deux temps sont extrêmement polluants) ne sont aucunement pénalisés ! Ceci va complètement à l’encontre de la politique d’électrification des transports du gouvernement.

Interdire globalement toute une catégorie de véhicule, sans avis préalable et sans proposer la moindre solution, est une position assez radicale et intenable. Il faudrait mieux définir la catégorie de véhicule interdit et aussi proposer des alternatives. Peut-être qu’une partie de ces véhicules devrait dorénavant être immatriculée ? Peut-être que certains véhicules, au lieu d’être complètement interdit de circuler, devraient simplement être interdit de circuler sur les pistes cyclables (quoi que les scooters et les motos électriques sont déjà interdits de circuler sur les pistes cyclables). Et, si une catégorie de véhicules est définitivement interdite de circuler, il faudrait offrir des compensations financières aux gens qui ont acheter un tel véhicule en toute bonne foi, pour les meilleures raisons du monde, qui se sont fait dire par le vendeur que cela était tout à fait légal, et qui maintenant se retrouve avec un véhicule totalement inutile, bon pour la ferraille.

J’aimerais maintenant citer en exemple mon cas personnel. Durant la COVID-19, afin d’éviter la possible contagion des transports en commun, je me suis acheté une bicyclette électrique afin de me rendre au travail. Il s’agit d’un Écolo Lithium de Greenpower HQ que j’ai payé environ $2000 avec accessoires. Malheureusement, il remplit plusieurs des critères énoncés dans l’arrêté ministériel: les roues s’apparentent à celle d’une motocyclette et une carrosserie recouvre une partie du cadre. Toutefois, il comporte un pédalier fonctionnel, il ne possède pas de plateforme appui-pied, son moteur n’excède pas 500 watts et sa vitesse est limitée à 32 km/h. Mais il pèse plus qu’une bicyclette électrique (80 kg) et la carrosserie, ainsi que le fait qu’il ait un large siège banane au lieu d’une selle, lui donne définitivement l’apparence d’un scooter. C’est pourtant techniquement une bicyclette électrique. Il possède d’ailleurs un autocollant qui dit “Ce véhicule est une bicyclette assistée et rencontre la norme 2(1) du règlement sur la sécurité des véhicules automobiles du Canada.” Le vendeur m’a clairement dit que c’était une bicyclette électrique qui ne nécessitait aucun permis et qui pouvait rouler sur les pistes cyclables. Mon Écolo est-il couvert par l’interdiction de circuler de l’arrêté ministériel ? Ce n’est vraiment pas clair. Et s’il l’était, serais-je indemnisé financièrement pour cet achat inutile ? Ne voulant cependant pas prendre la chance d’écoper d’une contravention, je me suis donc récemment acheté une véritable bicyclette électrique de type fat-bike: un RadExpand 5 de RadPower, qui ne pèse que 28 kg et que j’ai payé environ $2300 (avec accessoires, livraison et assemblage). Il ne rencontre aucun des critères énoncés par l’arrêté ministériel, mais, comme le fabricant est américain, il ne comporte nulle part l’indication qu’il est conforme à “la marque nationale de sécurité” (peu importe ce que c’est). Est-il donc légal de rouler avec ce véhicule au Québec ? J’aimerais bien que les règlements en la matière soient plus clairs et précis…

Finalement, cette question de la sécurité routière n’est pas un problème de véhicules qui ne sont pas sécuritaires. C’est un problème de gens qui conduisent des véhicules de façon non sécuritaire et qui ne respectent pas le Code de la route. Bannir un type de véhicule ou un autre n’y changera absolument rien. Il faut juste être plus sévère et consistant dans l’application des règlements existants (plus de policiers sur la route et les pistes cyclables) et faire des campagnes de sensibilisation. Tous les jours, en me rendant au travail (un trajet d’une vingtaine de minutes), je constate au moins une dizaine d’infractions: cyclistes et automobilistes qui ne font pas leurs arrêts, qui brûlent une lumière rouge, des piétons qui traversent n’importe où, sans regarder, sur une lumière rouge, des véhicules qui n’ont pas le droit de circuler dans une piste cyclable (skateboard, piéton avec poussette de bébé, joggeurs, véhicules stationnés, camions d’entrepreneur, etc.), de jeunes enfants à deux sur un scooter électrique, sans casques, et qui roulent PLUS VITE que moi (!), sans compter les pistes cyclables dangereuses, car mal entretenues (trous, bosses, jonchées de graviers, débris, déchets, poubelles, tas de feuilles mortes, etc.).

Non, cet arrêté ministériel ne changera rien à la sécurité routière.

Documentation:

Ajouts

(Note : cet article a été envoyé en tant que lettre de commentaire à la SAAQ et au ministère des Transports, ainsi qu’à quelques médias)

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