Les Constantiniens (2)

Crispus (317-326)

Flavius Julius Crispus est né vers 299-305 EC. Il est le fils aîné de Constantinus et de sa première épouse (ou concubine), Minervina. Celle-ci sera répudiée en 307 afin que Constantinus puisse marier la fille de Maximianus, Fausta, consolidant ainsi leur alliance. Il reçoit une éducation chrétienne par le célèbre rhéteur Lactantius. Très jeune il accompagne son père sur les champs de batailles et développera ainsi une grande connaissance et habilité militaire. Il sera fait César à l’âge de quinze ans soit en octobre 316 ou en mars 317, en même temps que son frère Constantinus Iunior (né en 316 de Fausta). Il reçoit également le titre de Prince de la Jeunesse, et est Consul trois fois (en 318, 321 et 324). Il est alors envoyé à Augusta Treverorum d’où il supervise, avec le préfet du prétoire Bassus, la défense de la frontière du Rhin jusqu’en 323 et remporte des victoires contre des envahisseurs Alamans (318) et Francs (319). En mars 321 (ou janvier 322), il retourne à Sirmium où il épouse une certaine Helena qui lui donnera un fils l’année suivante. Avec le début de la seconde guerre civile contre Licinius, il rejoint les troupes de Constantinus et dirigera la flotte romaine lors des batailles navales de l’Hellespont. En juillet 324, alors que Constantinus fait le siège de Byzance, Crispus affronte la flotte de Licinius, plus de deux fois supérieure en nombre. Toutefois, la manœuvrabilité d’une flotte plus compacte joua à son avantage et it réussit à mettre l’amiral Abantus en déroute. Celui-ci regroupa ses forces, permettant aussi à Crispus d’obtenir du renfort de la mer Égée, et les deux flottes s’affrontèrent à nouveau le lendemain près de Gallipoli. Cette fois-ci une tempête aida Crispus à anéantir complètement la flotte de Licinius, permettant à Constantinus de passer en Asie Mineure et de vaincre Licinius définitivement à la bataille de Chrysopolis en septembre 324. 

Étrangement, il est le seul fils de Constantinus à n’avoir jamais été Auguste (empereur) car il est mort dans des circonstances mystérieuses quelques années plus tard. En effet, à la fin de l’été ou à l’automne 326, Constantinus fait exécuter à Pula (en Istrie), à quelques mois d’intervalle, Licinius II (le jeune fils de Licinius et neveu de Constantinus), son fils Crispus et sa propre épouse Fausta! Il n’est pas clair si il y a un lien entre ces trois assassinats car les sources contemporaines n’en disent rien. Selon des sources plus tardives (Zosimus et Zonaras), Crispus aurait été accusé d’adultère par sa belle-mère, Fausta, après qu’il ait refusé ses avances. Il est toutefois aussi possible que Crispus ait comploté contre son père ou que Constantinus ait simplement été jaloux de la popularité de son fils… Quoiqu’il en soit, Crispus et toute sa famille se sont vu imposé la damnatio memoriae (en fait les romains parlaient plutôt de abolitio nominis) et disparurent de l’Histoire à jamais…

Je n’ai que deux pièces de monnaie de Crispus.

IMG_0886-0896La première est un beau follis réduit (AE3, VG [Very Good], AE [Bronze], 18 mm, 3.047 g, payé environ $7, dépôt vert pâle; die-axis: ↑↓). L’avers nous montre un buste du césar lauré et drapé à gauche avec un globe et un sceptre dans la main gauche et une mappa dans la main droite, avec l’inscription latine D[OMINVS] N[OSTER] FL[AVIVS] IVL[IVS] CRISPVS NOB[ILISSIMVS] CAES[AR] (“Notre Seigneur Flavius Julius Crispus Très Noble César”). Le revers illustre une place forte (constituée de six niveaux et d’une grande ouverture [sur trois niveaux?] qui n’a pas de porte) surmontée de trois tourelles, avec l’inscription latine PROVIDEN-TIAE CAESS[ARVM] (le double “S” équivaut à un duorum implicite; “[Dédié] à la prévoyance des deux césars“), un SMH𝚪 en exergue (marque de la troisième officine [gamma] de l’atelier d’Héraclée [Sacra Moneta Heraklea]) et un point (•) dans le champs droit.

D’après le RIC (Bruun P.M., Ed. by Sutherland C.H.V. & Carson R.A.G., The Roman Imperial Coinage vol. VII: Constantine and Licinius (313-337). London: Spink & Son, 1966, p. 534-536, 546), cette pièce aurait été frappée par la troisième officine de l’atelier d’Héraclée vers 318-320 EC.

On note que c’est une pièce rare (r2 = sept à dix pièces connues avec ce type). Je remarque également que ce type illustre une place forte (“camp gate”) avec trois tourelles. On se souvient que la semaine dernière j’ai présenté une pièce de Constantinus qui illustrait une place forte surmonté de deux tourelles entourant une étoile. Les spécialistes ont beaucoup spéculé sur la signification de ces tourelles et on semble maintenant s’entendre sur le fait qu’elles représentent des signaux lumineux utilisant une sorte de brasero où l’on allume un feu pour signaler l’approche d’un ennemi. L’étoile au milieu de deux tourelles pourrait donc représenter trois tourelles dont celle du milieu est allumée. La représentation que nous avons ici illustre donc trois tourelles tous feux éteint. Comme je l’ai expliqué la semaine dernière, cette représentation, conjointement avec l’inscription Providentia, exprime l’idée qu’il n’y a rien à craindre d’une possible invasion barbare car l’empereur et ses césars sont vigilants et que les frontières sont bien gardées.

Sources: Wikipedia (Crispus [FR/EN]), Google, FAC (Crispus, Conspiracy Theory, Heraclea, mappa, scepter), ERIC (Crispus); RIC v. VII: 30; Sear RCV (1983): 3823; CoinTalk, FAC, WildWinds (description erronée: image 1, image 2). Voir aussi ma fiche.

IMG_0899-0908La deuxième pièce est un beau follis réduit (AE3, VG [Very Good], AE [Bronze], 18 x 19 mm, 3.362 g, payé environ $6 le 1985/04/14, patine grisâtre, flan craqué à 30º; die-axis: ↑↓). L’avers nous montre un buste du césar casqué et cuirassé à gauche, avec l’inscription latine CRISPVS – NOBIL[ISSIMVS] C[AESAR] (“Crispus Très Noble César”). Le revers illustre un autel (cippus) inscrit d’un VOT-IS XX (Votis Vicennalibus = “Voeux pour le vingtième [anniversaire de règne]”) sur trois lignes, surmonté d’un globe céleste et de trois étoiles (❋❋❋), avec l’inscription latine BEATA TRA-NQVILLITAS (“Tranquillité bénie ou heureuse”), avec un PLON en exergue (marque de la première officine [P = Primus] de l’atelier de LONdinium) et les lettres P / A dans le champs de part de d’autre (une marque de séquence?).

Selon le RIC (op. cit., pp. 96, 110), cette pièce aurait été frappée par la première et unique officine de l’atelier de Londinium (Londres) en 321.

Sur la Beata Tranquillitas, le RIC (op. cit., pp. 20-42) nous apprend que ce type de revers était très prolifique, qu’il était associé à une grande variété de portrait d’avers (où l’aspect militaire était dominant) et que, due à de grandes similitudes, cette émission des ateliers de Londinium, Lugdunum et Augusta Treverorum a certainement été coordonnée par un seul officier monétaire. Il ajoute que le type de la Beata Tranquillitas, loin d’être une simple abstraction philosophique, était l’expression de l’espoir que les campagnes de Crispus contre les Alamans (en 318) et de Constantinus contre les Sarmates (à l’été 322) préserveraient la paix et l’ordre sur la frontière du Rhin.

Sources: Wikipedia (Crispus [FR/EN]), Google, FAC (Crispus, Beata Tranquillitas, cippus, Conspiracy Theory, Votis XX), ERIC (Crispus); RIC v. VII: 211; CoinArchives, CoinProject, vcoins, WildWinds (text1, image1; text2, image2). Voir aussi ma fiche.

Ces deux pièces de Crispus nous offrent des types de revers qui ne font que reprendre les revers de son père, Constantinus. Le motif de la place forte était très présent sous Constantinus. De même, le VOTIS XX sur la deuxième pièce ne peut en aucun cas faire référence à Crispus (qui n’est alors césar que depuis trois ans [317]), même d’une façon anticipée, et doit donc être interprété comme des voeux pour le vingtième anniversaire de règne de son père, Constantinus. Ces deux types — place forte + Providentia et Beata Tranquillitas [paix sous les cieux étoilés = “il est minuit bonne gens et il n’y a rien a signaler“ ? 😉 ] — font partie de la propagande impériale qui vise à rassurer le peuple sur la sécurité des frontières.

Je note que dans les deux cas, le portrait de l’avers est à gauche alors que la grande majorité des portraits sur les monnaies sont généralement à droite. J’ignore ce que cette différence peut signifier et si cela a de l’importance. Cela mériterait sans doute d’être étudié… Toutefois, le caractère militaire de ces pièces (la place forte, le portrait casqué) nous présente le césar clairement comme un guerrier et il était, après tout, un militaire expérimenté, talentueux et, de surcroit, aimé du peuple. Est-ce pour cette raison qu’il a été perçu par son père comme une possible menace et que Constantinus a éliminé son propre fils? On ne peut que spéculer et c’est pourquoi plusieurs théories de conspirations ont prit naissance sur ce sujet.

La semaine prochaine nous aborderons un autre fils de Constantinus, Constantinus II, dont j’ai une douzaine de pièces et que je traiterai en plusieurs parties.

Voir l’index des articles de cette chronique.

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Monnaies anciennes 59

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